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Accord collectif : précision sur sa contestation dans le cadre d’un contentieux individuel

Publié le 14/02/2024

Depuis les ordonnances Macron, le Code du travail enferme l’action en nullité d'un accord collectif dans un délai de 2 mois. Mais ce délai n’interdit pas aux salariés d'invoquer à tout moment cette nullité, dans le cadre d’un contentieux individuel.

Seulement, peut-il le faire pour tout motif ? La Cour de cassation répond pour la première fois à cette question dans un arrêt récent qui figurera à son rapport annuel. Si le salarié ne peut pas invoquer un grief tiré des conditions dans lesquelles la négociation de l'accord a eu lieu, il peut, en revanche, invoquer le non-respect des conditions légales de validité de l'accord collectif, relatives notamment à la qualité des parties signataires. Cass.soc. 31.01.2024, n°22-11.770.

Les faits

Dans cette affaire, un salarié a été engagé le 4 août 2006 en CDI à temps partiel en qualité d’agent de sécurité. Son contrat était conclu sur le fondement d’un accord d’entreprise relatif à l’aménagement du temps de travail signé le 1er juillet 2010.

Le 29 mars 2016, il a été licencié pour cause réelle et sérieuse, l’employeur lui reprochant notamment le non-respect de consignes. C’est ainsi qu’il a saisi le conseil de prud’hommes pour contester son licenciement, mais aussi pour demander la requalification de son contrat à temps partiel en contrat à temps plein.

Contestation de l’accord dans le cadre du litige individuel

Les premiers juges ont rejeté l’essentiel de ses demandes, mais les juges d’appel lui ont donné raison. Il avait en effet invoqué devant la cour d’appel, par voie d'exception, l'illégalité de l'accord d'entreprise sur la base duquel son contrat à temps partiel avait été conclu. Et celle-ci a requalifié son contrat, considérant que dès lors que les délégués syndicaux (DS) signataires de l'accord n'avaient pas fait l'objet d'une nouvelle désignation après les élections intervenues quelques semaines auparavant, l'accord était inopposable au salarié.

La société s’est pourvue en cassation, invoquant l'article L. 2262-14 du Code du travail selon lequel « toute action en nullité de tout ou partie d'une convention ou d'un accord collectif doit, à peine d'irrecevabilité, être engagée dans un délai de deux mois ».

Les ordonnances travail ont introduit un délai de 2 mois pour engager une action en nullité de tout ou partie d'une convention ou d'un accord collectif. Ce délai court à compter de la notification de l'accord d'entreprise pour les organisations disposant d'une section syndicale dans l'entreprise, ou de la publication de l’accord dans tous les autres cas[1]. Le Conseil constitutionnel a précisé que ces dispositions ne privaient pas les salariés de la possibilité de contester, sans condition de délai, par voie d'exception, l’illégalité d'une clause de convention ou d'accord collectif à l'occasion d'un litige individuel la mettant en œuvre[2].

Selon l’employeur, les salariés peuvent certes soulever une exception d’illégalité d’un accord collectif au-delà du délai légal de 2 mois, mais à la condition que les moyens invoqués à l'appui de cette exception ne portent que sur le fond, c’est-à-dire le contenu de l’accord, et non sur la forme et la procédure de négociation et de signature.

En outre, l’employeur avançait que les mandats des DS étaient toujours valables au moment de la signature de l’accord d’entreprise. Il arguait en effet qu’à cette date, la règlementation ne prévoyait pas que le mandat des DS prenait fin le jour du 1er tour des élections professionnelles.

Le Code du travail prévoit que le mandat de délégué syndical prend fin au plus tard lors du premier tour des élections du comité social et économique ayant permis de reconnaître la représentativité de l'organisation syndicale l'ayant désigné[3].

Sur quels fondements le salarié peut-il se prévaloir d’une exception d’illégalité d’un accord collectif ? C’est à cette question que devait répondre la Cour de cassation.

L’exception d’illégalité fondée sur les conditions de validité de l’accord est recevable

Sur ce point, la Cour de cassation valide le raisonnement des juges du fond. Elle précise ainsi pour la première fois que « si un salarié, au soutien d'une exception d'illégalité d'un accord collectif, ne peut invoquer un grief tiré des conditions dans lesquelles la négociation de l'accord a eu lieu, il peut, en revanche, invoquer à l'appui de cette exception le non-respect des conditions légales de validité de l'accord collectif, relatives notamment à la qualité des parties signataires ».

En d’autres termes, un salarié peut invoquer le non-respect des règles de validité d’un accord, au-delà du délai de 2 mois, dans le cadre d’un litige individuel. Il ne pourrait en revanche pas se prévaloir dans ce cadre du non-respect des règles de loyauté des négociations.

Les salariés ne sont pas les seuls à pouvoir introduire cette exception d’illégalité. La Cour de cassation a pu préciser qu’un CSE était recevable à invoquer par voie d'exception, sans condition de délai, l'illégalité d'une clause d'un accord collectif « aux motifs que cette clause viole ses droits propres résultant des prérogatives qui lui sont reconnues par la loi »[4]. Une organisation syndicale non-signataire peut en faire de même « lorsque cette clause est invoquée pour s'opposer à l'exercice de ses droits propres résultant des prérogatives syndicales qui lui sont reconnues par la loi »[5].

Pour la CFDT, le délai légal pour introduire une action directe en nullité doit avoir pour seul objectif de sécuriser la négociation collective. Mais il ne doit pas avoir pour effet de priver les salariés de recours contre un accord illégal et qu’ils auraient un intérêt à contester dans le cadre d’un litige, quand bien même cette illégalité serait basée sur une condition « de forme ». La Haute juridiction nous offre là une solution logique et équilibrée. Réduire cette exception à des arguments tenant uniquement au contenu de l’accord aurait limité démesurément le droit de recours du salarié contre un accord entaché de nullité.

Un raisonnement de la Cour basé sur la jurisprudence administrative

De manière assez originale, la chambre sociale base son raisonnement sur le droit administratif et plus précisément, sur le contrôle exercé par le juge administratif face à un acte présentant un caractère réglementaire. En contentieux administratif, une distinction est traditionnellement opérée entre moyens de légalité interne (le fond du droit) et moyens de légalité externe (les conditions d’adoption de l’acte réglementaire), le second excluant en principe l’exception d’illégalité. Dans sa notice, la Cour explique que « la question de la compétence de l’auteur de l’acte attaqué relève de la légalité externe, mais elle est considérée comme étant d’ordre public ». Par conséquent, ce moyen doit pouvoir être soulevé à tout moment, autorisant de fait le recours à l’exception d’illégalité.

Un accord valide en l’espèce

Bien qu’elle ait jugé recevable l’exception d’illégalité soulevée par le salarié, la chambre sociale a cassé l’arrêt d’appel. Et pour cause, l’accord collectif en question était bien valide !

Pour rappel, en l’espèce, l’accord d’entreprise avait été conclu le 1er juillet 2010, soit quelques semaines après les élections professionnelles s’étant tenues en mai 2010, et le salarié arguait que le mandat des DS avait pris fin le jour du premier tour des élections.

La Cour a d’abord rappelé qu’il convenait d’examiner les normes en vigueur au moment de la signature de l’accord d’entreprise. Or, a-t-elle considéré, les mandats des délégués syndicaux n’avaient pas pris fin à cette date. En effet, l’article L. 2232-12 du Code du travail, dans sa version applicable au litige, ne prévoyait pas expressément la fin des mandats de DS le jour du premier tour. Ce n’est qu’après la conclusion de l’accord que la Cour de cassation a précisé que les DS devaient de nouveau être désignés après les élections[6]. Cette condition n’était donc pas applicable à l’accord litigieux.


[1] Art. L.2262-14 C.trav.

[2] C.constit. DC n° 2018-761, 21.03.18.

[3] Art. L.2143-11 C.trav.

[4] Cass.soc. 02.03.22, n° 20-20.077.

[5] Cass.soc. 02.03.22 n° 20-18.442.

[6] Cass.soc. 22.09.10, n° 09-60.435.

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