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Licenciement du représentant du personnel : lorsqu’il est le seul dans l’entreprise, l’assistance par un conseiller du salarié est possible !

Publié le 08/11/2023

Voilà un apport inédit (à notre connaissance) du Conseil d’État qui ne manquera pas d’être remarqué : le représentant du personnel qui se trouve être le seul représentant de son entreprise peut se faire assister pendant son entretien préalable au licenciement par un conseiller du salarié. Et l’employeur doit impérativement lui fournir cette information par tout moyen, au risque de voir sa demande de licenciement à l’inspection du travail refusée. CE, n°467113, 13.10.23

Rappel des faits

Courant 2017, une entreprise spécialisée dans la photocopie décide de se séparer d’un salarié occupant un poste d’agent de production. Salarié ayant la particularité d’être le seul et unique représentant du personnel de l’entreprise. L’employeur, faisant une application littérale des articles L. 1232-4 et R. 1232-1 du Code du travail, lui précise, lorsqu’il le convoque à l’entretien préalable, qu’il peut se faire accompagner par une personne de son choix appartenant au personnel de l’entreprise.

Effectivement, ces articles précisent que l’accompagnement par un conseiller du salarié est possible pour les entreprises dépourvues de représentant du personnel, ce qui n’était à l’évidence pas le cas ici puisque le salarié visé par le projet de licenciement était alors titulaire d’un mandat de délégué du personnel.

Le salarié convoqué à un entretien préalable au licenciement a la possibilité de se faire assister pendant celui-ci par une personne de son choix appartenant au personnel de l’entreprise ; ou, lorsqu’il n’y a pas d’IRP, soit par une personne de son choix appartenant au personnel de l’entreprise, soit par un conseiller du salarié. L’employeur a l’obligation de mentionner ces possibilités dans la lettre de convocation à l’entretien préalable.

Mais l’inspecteur du travail ne l’a pas entendu ainsi et a refusé de donner son autorisation au licenciement. Les faits repris dans l’arrêt commenté ne le précisent pas, mais il semblerait que ce refus ait été justifié par le fait que l’employeur n’ait pas précisé dans la convocation à l’entretien préalable la possibilité pour le salarié de se faire assister par un conseiller du salarié.

Après divers recours hiérarchiques et contentieux, et un 1er passage devant le Conseil d’État, l’employeur, systématiquement mis en échec dans ce contentieux, forme un nouveau pourvoi.

La question soulevée devant les magistrats du Conseil d’État est la suivante : dans une entreprise pourvue d’un seul représentant du personnel, ce dernier peut-il se faire assister par un conseiller du salarié ? et l’employeur doit-il mentionner cette possibilité dans la lettre de convocation à l’entretien préalable ?

C’est une réponse en plusieurs temps que nous livre le Conseil d’État.

Rappel du contrôle auquel doit se livrer l’inspecteur du travail saisi d’une demande d’autorisation de licenciement

Chose assez classique dans ce type de contentieux, le Conseil d’État commence par rappeler que le licenciement des représentants du personnel ne peut intervenir que sur autorisation de l’inspecteur du travail, ce dernier devant vérifier la régularité de la procédure de licenciement suivie par l’employeur avant sa saisine. Et plus précisément en ce qui concerne cette affaire, le Conseil d’État rappelle que l’inspecteur devait en particulier vérifier que « le salarié était pleinement informé des modalités d’assistance auxquelles il avait droit, en fonction de la situation de l’entreprise, pour son entretien préalable ».

Licenciement de l'unique représentant du personnel de l’entreprise : l’assistance par un conseiller du salarié est possible

C’est ici que le Conseil d’État vient apporter des précisions nouvelles quant aux modalités d’assistance du salarié, seul et unique représentant du personnel dans l’entreprise, et dont le licenciement est envisagé.

Il relève que la lettre de convocation doit mentionner les modalités d’assistance du salarié applicables en fonction de la situation de l’entreprise. Et pour lui, « en fonction de la situation de l’entreprise », cela signifie que « lorsque le salarié concerné est le seul représentant du personnel dans l’entreprise, cette situation est assimilable pour l’intéressé à celle d’une entreprise dépourvue de représentant du personnel ». Le Conseil d’État en déduit alors que dans une telle situation, la lettre de convocation à l’entretien préalable « doit mentionner la possibilité pour le salarié de se faire assister par une personne de son choix appartenant au personnel de l’entreprise ou par un conseiller du salarié ».

Les juges ne se contentent donc pas ici de faire une lecture littérale du texte en question. Mais plutôt de rechercher son sens : le texte ne le dit pas expressément, mais son objectif est entre autres d’offrir la possibilité pour un salarié dont le licenciement est envisagé de se faire accompagner par une personne « chevronnée », habituée au face à face ou au dialogue avec le ou les employeurs, et surtout protégée contre le risque de représailles de l'employeur, personne qui justement fait défaut dans la situation exposée ici.

Cette interprétation est donc à saluer, car elle offre à l’élu seul dans son entreprise cette possibilité nouvelle de faire appel à un conseiller du salarié pour être assisté pendant l’entretien préalable. Ce qui n’est pas rien, car étant seul, il est d’autant plus exposé au risque de discrimination syndicale et au risque de licenciement pour ce motif : être bien accompagné pendant l’entretien préalable est donc essentiel !  

Une irrégularité que l’employeur peut corriger, quand il est encore temps …

Le Conseil d’État termine toutefois par une précision qui a de quoi surprendre : celle de la possibilité pour l’employeur de « réparer » l’irrégularité. Il permet en effet à l’employeur d’échapper au refus de l’inspecteur du travail d’autoriser le licenciement, à la condition toutefois que le salarié ait été « informé, en temps utile, des modalités d’assistance auxquelles il a droit, en fonction de la situation de l’entreprise, pour son entretien préalable ». Cette possibilité n'est pas prévue par les textes, et cette interprétation est contestable en ce qu'elle introduit un droit à rectification, à nouveau au détriment des salariés (1).

Ainsi, dans la présente situation, l’employeur qui aurait omis d’indiquer, dans la lettre de convocation, la possibilité pour le seul salarié représentant du personnel de se faire assister par un conseiller du salarié lors de son entretien préalable, peut corriger ultérieurement. A la condition toutefois que cette correction intervienne en temps utile. Sous-entendu, selon nous, en temps permettant au salarié de se rapprocher d’un conseiller du salarié et surtout de préparer avec lui l’entretien préalable.

En l’espèce, le Conseil d’État a estimé que le temps utile n’avait pas été respecté : le salarié, qui était pourtant venu accompagné d’un conseiller du salarié, n’avait en effet été prévenu par l’employeur que la veille de son entretien préalable de cette possibilité. Pas suffisant pour le Conseil d’État !  

 

(1) Comme l'ont fait en leur temps les ordonnances travail en introduisant la possibilité pour l'employeur de venir préciser les motifs de licenciement après l'envoi de la lettre de licenciement.