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Dénonciation de harcèlement : rappels sur la charge de la preuve et la nullité du licenciement

Publié le 29/11/2023

Un licenciement prononcé à l’encontre d’un salarié pour avoir dénoncé, relaté ou témoigné de bonne foi, des faits de harcèlement moral est nul de plein droit. On le sait. Mais qu’en est-il lorsque la lettre de licenciement ne fait pas état d’un quelconque signalement par le salarié ? Ce dernier peut-il tout de même demander la nullité de son licenciement ? Qui, du salarié ou de l’employeur, doit prouver qu’il existe (ou non) un lien entre la rupture du contrat et la dénonciation des faits de harcèlement ? C’est à ces questions que la Cour de cassation est récemment venue apporter des éléments de réponse. Et ce n’est pas simple ! Cass.soc.08.11.23, n°22-17738.

Les faits

Convoqué à un entretien préalable au licenciement le 9 janvier 2015, un salarié sollicite le même jour une enquête contradictoire en raison du harcèlement moral dont il a fait l’objet et qu’il a déjà eu l’occasion de dénoncer à plusieurs reprises quelques mois auparavant. Il est finalement licencié le 4 février 2015 par une lettre visant l’impossibilité de le reclasser.

Estimant que son licenciement est en réalité lié à ses dénonciations de faits de harcèlement moral, le salarié saisit le conseil de prud’hommes pour demander la nullité de son licenciement et tout ce qui en découle (indemnisation, réintégration, etc.).

Pour protéger les salariés contre le harcèlement moral, tant ceux qui l’ont subi ou refusé de le subir que ceux qui ont dénoncé de tels agissements, le Code du travail prévoit diverses mesures, notamment :

- il interdit les faits de harcèlement moral et toute mesure de représailles (sanctions, licenciement, mesure discriminatoire directe ou directe) à l’encontre des salariés qui ont subi ou refusé de subir des agissements de harcèlement moral ou qui ont, de bonne foi, relaté ou témoigné de tels agissements(1)(L. 1152-1 et L. 1152-2) ;

- il prévoit la nullité de toute rupture du contrat de travail, toute disposition ou acte contraire (L. 1152-3) ;

- il aménage la charge de la preuve(2), puisque qu’il s’agisse du harcèlement moral ou des mesures de rétorsion faisant suite à la dénonciation de tels faits, le salarié n’a pas à « prouver », mais simplement à « présenter des éléments de fait laissant supposer l’existence d’un harcèlement ». A charge ensuite pour l’employeur, de prouver que sa décision est justifiée par des éléments objectifs étrangers à tout harcèlement. Sachant que le juge forme ensuite sa conviction sur l’ensemble de ces éléments (L. 1154-1 C.trav).

En principe : nullité des mesures prises à l’occasion des faits de harcèlement

Autrement dit, dès lors qu’un employeur licencie un salarié en lui reprochant d’avoir dénoncé ou témoigné des faits de harcèlement, le licenciement est nul de plein droit et ce, y compris si l’employeur invoque d’autres motifs de licenciement(3). Le seul moyen pour l’employeur d’échapper à cette nullité étant alors de démontrer la mauvaise foi du salarié, c’est-à-dire, de prouver que ce dernier avait, au moment de la dénonciation, connaissance de la fausseté de ses allégations(4).

Si la nullité du licenciement est de droit lorsque la lettre de licenciement fait état de la dénonciation du harcèlement par le salarié(5), qu’en est-il lorsque cette lettre ne mentionne pas cette dénonciation mais qu’elle fait, par ailleurs, état d’autres manquements commis par le salarié ?

C’est précisément la question qui se pose dans notre affaire…. Car si le conseil de prud’hommes a fait droit à la demande de la salariée et a prononcé la nullité de son licenciement, la cour d’appel en a décidé autrement :

- d’un côté, elle relève que le salarié a bien fait l’objet de harcèlement moral et que son licenciement est sans cause réelle et sérieuse, elle constate aussi que la procédure de licenciement a été engagée après la dénonciation des faits ;

- mais elle considère, de l’autre, que le salarié n’a pas suffisamment établi qu’il existait un lien entre la rupture de son contrat de travail et sa dénonciation : la lettre de licenciement ne fait pas référence à la dénonciation, celle-ci ayant eu lieu 2 mois et demi avant le début de la procédure de licenciement et n'étant donc pas immédiatement concomitante avec le licenciement et qu’en tout état de cause, la concomitance entre les deux ne permet pas de déduire qu’il existe un lien. Et pour couronner le tout, l’entreprise a tenté de reclasser le salarié….

En bref, la cour d’appel fait peser sur le salarié la charge de la preuve du lien entre son licenciement et la dénonciation des faits de harcèlement. Cette preuve n’étant pas rapportée, elle refuse donc de prononcer la nullité du licenciement.

Pour le salarié, dès lors que son licenciement est sans cause réelle et sérieuse, ce n’est pas à lui d’établir qu’il existe un lien entre sa dénonciation et la rupture de son contrat, mais bien à l’employeur de justifier qu’il n’y a pas de lien ! En d’autres mots, la charge de la preuve pèse sur l’employeur. Elle se pourvoit en cassation.

En l’absence de référence à la dénonciation dans la lettre : qui doit prouver ?

La Cour de cassation valide le raisonnement du salarié : dès lors que la lettre de licenciement ne fait pas mention d’une dénonciation d’agissements de harcèlement moral, les juges doivent d’abord rechercher si les faits invoqués dans la lettre caractérisent ou non une cause réelle et sérieuse de licenciement. Selon les cas, la charge de la preuve reposera tantôt sur le salarié, tantôt sur l’employeur :  

  • Les faits invoqués dans la lettre caractérisent une cause réelle et sérieuse : c’est au salarié de démontrer que la rupture de son contrat de travail constitue une mesure de rétorsion à la dénonciation de faits de harcèlement moral.
  • Les faits invoqués dans la lettre de licenciement ne caractérisent pas une cause réelle et sérieuse : c’est à l’employeur de démontrer l’absence de lien entre la dénonciation par le salarié et son licenciement. A défaut, le licenciement sera nul.

Autrement dit, l’appréciation de l’existence d’un lien entre la rupture du contrat et la dénonciation d’agissements ne se fait que dans un second temps et la preuve de ce lien repose sur l’une ou l’autre des parties.

Dans notre affaire, la cour d’appel ayant relevé que le licenciement ne reposait pas sur une cause réelle et sérieuse, il appartenait à l’employeur (et non au salarié) de démontrer l’absence de lien entre les dénonciations faites par le salarié et le licenciement prononcé. Elle n’aurait donc pas du écarter la nullité du licenciement sans avoir préalablement opéré cette analyse. La Cour de cassation casse sa décision et renvoie l’affaire devant une autre cour d’appel.

Une charge de la preuve complexifiée pour le salarié….

Précisons d’emblée que cette solution n’est pas nouvelle. Elle a déjà été admise dans le cas d’une concomitance entre le licenciement et une action en justice(6) ou, plus récemment, entre le licenciement et la dénonciation de faits de harcèlement sexuel(7).

La Cour de cassation a par ailleurs apporté quelques précisions quant à l’appréciation de l’existence d’un lien entre la dénonciation de faits et la rupture du contrat :

- la seule concomitance ou proximité temporelle entre la rupture du contrat et le signalement antérieur d’un harcèlement sexuel ne suffit pas à en déduire que la dénonciation a pesé sur le licenciement et à prononcer la nullité du licenciement(8);

- le licenciement n’est pas nul lorsque la lettre se borne à rappeler, à titre d’éléments de contexte, que le salarié s’est plaint d’un harcèlement auquel l’employeur avait mis fin(9).

Si la décision rendue ici a le mérite d’indiquer aux juges du fond la méthode (en 2 temps) à suivre en vue de déterminer sur qui pèse la charge de la preuve lorsque la lettre de licenciement ne fait pas état de la dénonciation d’agissements de harcèlement, elle est loin d’être favorable aux salariés. Notamment ceux dont le licenciement repose sur une cause réelle et sérieuse et pour qui la nullité du licenciement sera tout de même beaucoup plus difficile à obtenir.

Alors que les textes prévoient un régime de preuve partagée en matière de harcèlement, en demandant au salarié de démontrer que la rupture de son contrat constitue une mesure de rétorsion à sa plainte pour harcèlement moral ou sexuel, la Cour de cassation applique les règles de preuve de droit commun et fait peser sur le seul salarié la charge de la preuve. Pour échapper à cette charge, un salarié qui réclame la nullité de son licenciement aura donc tout intérêt à plaider également l’absence de cause réelle et sérieuse.

Tableau récapitulatif

Contenu de la lettre de licenciement

Nullité de plein droit ?

Qui doit prouver ?

Conséquences

Mention de la dénonciation du harcèlement

Avec ou sans autres motifs

 

 

 

OUI

 

L’employeur doit démontrer la mauvaise foi du salarié

En l’absence de preuve : nullité du licenciement

 

En présence d’une preuve : pas de nullité du licenciement

Aucune mention de la dénonciation du harcèlement mais autres motifs

NON

 

Le juge doit d’abord se prononcer sur l’existence d’une cause réelle et sérieuse de licenciement au regard des motifs invoqués dans la lettre

Si cause réelle et sérieuse : C’est au salarié de démontrer que la rupture constitue en réalité une mesure de rétorsion à sa dénonciation de harcèlement

En l’absence de preuve par le salarié : pas de nullité du licenciement, licenciement justifié

 

En présence d’une preuve : nullité du licenciement

Si pas de cause réelle et sérieuse :

C’est à l’employeur de démontrer que sa décision est sans lien avec la dénonciation et n’est pas une mesure de rétorsion

En l’absence de preuve par l’employeur : nullité du licenciement

En présence d’une preuve de l’employeur : pas de nullité du licenciement

Mais licenciement sans cause réelle et sérieuse

 

 

(1) Sur les différentes mesures, voir article L.1121-2 C.trav.

(2) Puisque face à ce type d’agissements, le salarié n’a pas à « prouver » le harcèlement, mais simplement à « présenter des éléments de fait laissant supposer l’existence d’un harcèlement ». A charge ensuite pour l’employeur, de prouver que sa décision est justifiée par des éléments objectifs étrangers à tout harcèlement. Sachant que le juge va ensuite former sa conviction sur l’ensemble de ces éléments

(3) Cass.soc.19.10.11, n°10-16444 ; Cass.soc.19.04.23, n°21-21053.

(4) Cass.soc.07.02.12, n°10-18035.  En 2020, la jurisprudence a admis qu’un employeur puisse invoquer la mauvaise foi du salarié quand bien même il n’en avait pas fait référence dans sa lettre de licenciement (Cass.soc.16.09.20, n°18-26696).

(5) Cass.soc.25.09.12, n°11-18352 ; Cass.soc.12.06.14, n°12-28944.

(6) Cass.soc.09.10.19, n°17-24773 ; Cass.soc.05.12.18, n°17-17687. Voir aussi Cass.soc.03.02.16, n°14-18600 : sur la nullité du licenciement fondé sur l’action en justice.

(7) Cass.soc.18.10.23, n°22-18678.

(8) Voir aussi : Cass.soc.24.06.20, n°19-12403.

(9) Cass.soc.04.10.23, n°22-12387.