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Obligation de sécurité : incompétence du CPH lorsque le manquement de l’employeur est à l’origine d’une maladie professionnelle

Publié le 13/12/2023

La solution est bien connue depuis l’évolution de la jurisprudence en 2018 : en matière d’accidents du travail et de maladies professionnelles (AT/MP), le CPH est compétent uniquement pour « statuer sur le bienfondé de la rupture du contrat de travail ». Un arrêt rendu récemment par la Cour de cassation illustre le partage spécifique de compétence entre le juge du contrat de travail et le juge du contentieux de la sécurité sociale. Cass. soc. 15.11.23, n°22-18.848.

Résumé des faits et des procédures

Un salarié, ouvrier agricole d’une entreprise d’élevage de volailles, est licencié en novembre 2017 pour inaptitude suite à l’impossibilité de le reclasser.

Il engage alors deux actions en justice, une première pour faire reconnaitre l’existence d’une maladie professionnelle devant la juridiction de la sécurité sociale [1], et une seconde devant le conseil de prud’hommes pour obtenir diverses indemnités notamment au titre du manquement de l’employeur à l'obligation de sécurité. Sur ce dernier point les juges du fond s’estiment incompétents pour trancher cette demande.  

Un même manquement de l’employeur à l’origine des deux procédures distinctes

Devant le conseil de prud’hommes, le salarié demandait des indemnités au titre d’une triple violation de l’obligation de sécurité : non-respect des durées maximales de travail, absence de visite d’information et de prévention et conditions de travail dangereuses. Mais le conseil des prud’hommes et la cour d’appel ont relevé qu’au soutien de sa demande de reconnaissance en maladie professionnelle, le salarié invoquait ses conditions de travail dangereuses (manipulation de formol, classé comme cancérogène) et la violation des durées maximales de travail. Ainsi pour les juges du fond, « sous couvert d'une action en responsabilité contre l'employeur pour manquement à l'obligation de sécurité, le salarié demandait en réalité la réparation de préjudice né d'une maladie professionnelle dont il expose avoir été victime. ».

Le salarié a formé un pourvoi en cassation. Il estime que le simple constat d’un dépassement de la durée maximale de travail est un préjudice autonome et distinct de la maladie professionnelle, caractérisant la violation de l’obligation de sécurité de l'employeur. Pour appuyer son argumentation, le salarié se fonde utilement sur une interprétation de l’article du Code du travail[6] limitant la durée hebdomadaire à 48h maximum à la lumière de l'article 6 de la directive n°2003/88/CE du 4 novembre 2003 sur l’aménagement du temps de travail. L’article 6 établit très clairement un lien entre la protection de la santé et la nécessité pour les membres de l’Union européenne de fixer une durée maximale hebdomadaire.

L’indemnisation des dommages nés d’une maladie professionnelle relève exclusivement du pôle social du tribunal judiciaire

La Cour de cassation rejette le pourvoi en commençant par rappeler le principe d’immunité civile dont bénéficie l’employeur : « aucune action en réparation des accidents et maladies mentionnés par le présent livre ne peut être exercée conformément au droit commun, par la victime ou ses ayants droit ».

Ainsi, la juridiction du contentieux de la sécurité sociale est seule compétente pour indemniser les dommages nés d'une maladie professionnelle, « qu'ils soient ou non la conséquence d'un manquement de l'employeur à son obligation de sécurité ». En matière d’AT/MP, la juridiction prud'homale est donc compétente uniquement pour les litiges relatifs à l'indemnisation d'un préjudice consécutif à la rupture du contrat de travail.

La Cour de cassation approuve donc le raisonnement de la cour d’appel qui a estimé qu’il ne s’agissait pas d’une action en responsabilité contre l’employeur au titre d’un manquement à l’obligation de sécurité mais en réalité de la réparation d’un préjudice né d’une maladie professionnelle.

Les hauts magistrats ont donc retenu une conception très large du principe d’immunité civile. La finalité de cette solution semble être facilement compréhensible. Un même manquement de l’employeur ne peut être à l’origine de deux réparations distinctes, l’une au titre de la violation de l’obligation de sécurité et l’autre au titre de la législation sur les maladies professionnelles.

Un dommage né de la maladie professionnelle ou à l’origine de celle-ci ?

Pourtant le point de savoir si le salarié entendait obtenir « en réalité la réparation de préjudice né d'une maladie professionnelle » mérite de s’y attarder quelques instants.

Tout d’abord à la date où le CPH a été saisie, la maladie professionnelle ne semblait pas avoir été reconnue par la sécurité sociale et par le pôle social du tribunal judiciaire. Même si nous disposons de peu d’informations sur ce volet de l’affaire, on peut tirer cette conclusion du fait que, sur la demande du salarié d’obtenir le versement de l’indemnité spéciale de licenciement, le CPH de Bastia a sursoit a statué dans l’attente de la décision de la Cour d’appel saisie de la demande de reconnaissance de la maladie professionnelle.

Pour rappel lorsque l’inaptitude est d’origine professionnelle, le salarié bénéficie d’une indemnité au moins égal au double de l’indemnité légale de licenciement. 

Ensuite, il semble possible de partir du principe que le salarié a bien eu deux préjudices distincts et qu’ils ne sont d’ailleurs pas réparés de la même manière selon que l’on se place sur le terrain du manquement contractuel ou de la législation professionnelle. Préjudices distincts car le dépassement des durées maximales de travail ne peut pas être à lui seul la cause de la maladie professionnelle dont il entend obtenir reconnaissance. Ce manquement a certainement conduit le salarié à être exposé plus longtemps au produit cancérogène. Mais aussi réparations distinctes puisque celle obtenue en application de la législation professionnelle vise à réparer, sur une base forfaitaire, les préjudices subis par la victime dans sa vie professionnelle en conséquence de la maladie et non les causes de celle-ci [7] !

Ainsi, pour reprendre la solution maintenant constante de la Cour de cassation, le dommage du salarié au titre du dépassement de la durée maximale de travail n’est pas né de la maladie professionnelle mais a été au moins en partie à l’origine de celle-ci, expliquant l’utilisation du même argument par le salarié devant les deux juridictions.

Toutefois, ce qui semble avoir été sanctionné par les juges du fond et approuvé par la Cour de cassation c’est en quelque sorte la « maladresse » de la stratégie retenue par le salarié. Dès lors qu’un salarié agit pour faire reconnaitre une maladie professionnelle, il ne peut plus saisir le CPH d’une demande de dommages et intérêts pour des manquements à l’obligation de sécurité sur un motif identique à celui invoqué devant la juridiction de sécurité sociale.

 

[1] Il invoque une maladie prévue au tableau (RG n°47 : Affections provoquées par l'aldéhyde formique et ses polymères) et la reconnaissance d’une maladie hors tableau en lien avec ses conditions de travail habituelles. 

[2] Art. L.1226-2 et s. et L.1226-10 et s. C.trav. 

[3] Art. L.4624-7

[4] La consolidation est un terme utilisé par la sécurité sociale, indiquant le moment où la lésion n’est plus susceptible d’évoluer à court terme et peut être considérée comme ayant un caractère permanent. Il est réservé aux AT-MP.

[5] Pour plus de précisions voir le coin du militant « Le contentieux lié à la santé au travail et les différentes juridictions compétentes » dans l’Action juridique n°247.

[6] L.3121-35 C.trav. dans sa version applicable au moment des faits (du 1er mai 2008 au 10 août 2016).

[7] Depuis un revirement de l’Assemblée plénière de la Cour de cassation, la rente en cas de maladie professionnelle doit être regardée comme ayant pour objet exclusif de réparer, sur une base forfaitaire, les préjudices subis par la victime dans sa vie professionnelle en conséquence de l'accident, c'est-à-dire ses pertes de gains professionnels et l'incidence professionnelle de l'incapacité.

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