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Conseils de prud’hommes : évolutions législatives en vue !

Publié le 05/07/2023

Le 20 juin dernier, un Conseil supérieur de la prud’homie s’est réuni avec à l’affiche un ordre du jour pléthorique. Devaient en effet y être abordés les dispositions prud’homales figurant au projet de loi d’orientation et de programmation du ministère de la justice mais aussi l’état d’avancement du programme Portalis CPH, la formation initiale des conseillers prud’hommes ainsi que les observations définitives issues du rapport de la cour des comptes sur les prud’hommes. Pour des raisons d'organisation, les deux derniers points n’ont finalement pu être abordés. Les débats se sont donc pour l’essentiel polarisés sur les évolutions législatives qui, dans les jours qui viennent, pourraient affecter conseils de prud'hommes.

Pourquoi reparler des dispositions prud'homales figurant au projet de loi d'orientation et de programmation du ministère de la justice ? Puisque le 28 février 2023, le Conseil supérieur de la prud’homie (CSP) a déjà eu l’occasion de se pencher sur ce projet de texte et de rendre un avis circonstancié.

L’explication est simple ! Le projet de texte de cet hiver n’était qu’une toute première mouture : celle qui avait vocation à être présentée en Conseil des ministres. Depuis, les débats parlementaires sont passés par-là et un certain nombre d'amendements parlementaires ayant émergé au Sénat sont venus « enrichir » le texte…   

Etant d’émanation parlementaire, les amendements ainsi adoptés n’avaient pas nécessairement à être soumis à l’avis du CSP. Mais les évolutions induites sont telles que les organisations syndicales et professionnelles ont entendu imposer un débat et demander au président du CSP d’intervenir auprès du législateur pour que leurs positions puissent être portées.

Parallèlement à cela, la CFDT a pris le parti d'intervenir dans le débat parlementaire en cours à l'Assemblée nationale. Afin d’y faire valoir ses positions par rapport aux amendements introduits au Sénat bien sûr. Mais aussi pour proposer l'introduction, dans le projet de texte, d'un certain nombre d'amendements issus des propositions paritaires pour une justice prud’homale renforcée que nous avions signées il y a de cela un an et demi.

 

Les positions CFDT sur les amendements parlementaires

A propos du 1e amendement qui entend contraindre les conseillers prud'hommes nouvellement nommés à procéder à une « déclaration d'intérêt » 

Qu’est-ce qu’une déclaration d’intérêt ? C'est un document rempli par les juges qui a pour but de prévenir et de sanctionner les conflits d'intérêts. Mais aussi et surtout de faciliter les déports de dossiers.

Sur le principe, nous ne nous sommes pas montrés opposés à une telle évolution qui vise à assurer une plus grande impartialité des juges du travail. Mais l’écriture retenue nous a conduit à nous interroger sur la pertinence du dispositif ainsi mis en place et sur la faisabilité de sa mise en œuvre :

- Sur sa pertinence : car l’amendement n’est en fait qu’un simple copier / coller de l’article L. 722-21 du Code du commerce dont le contenu a été taillé pour les juges consulaires des tribunaux de commerce et pas pour ceux des conseils de prud’hommes. Ces derniers n’ont en effet pas du tout le même champ de compétence et, convenons-en, les risques de conflits d’intérêt sont bien plus forts dans les tribunaux de commerce que dans les conseils de prud’hommes. Sans compter que ces derniers connaissent d’un fonctionnement paritaire qui, en lui-même, rend possible le contrôle d’un collège sur l’autre.

- Sur sa faisabilité : les déclarations, remises aux présidents de conseil de prud’hommes, devraient dans les deux mois suivant l’entrée en fonction des conseillers prud’hommes se coupler d’un entretien déontologique… Ce qui ferait plus de 14 000 déclarations d'intérêts à gérer et plus de 14 000 entretiens déontologiques à réaliser en seulement deux mois par des présidents de conseil de prud’hommes qui, pour la plupart, ne disposent pas de temps dédié pour ce faire. A titre de comparaison, nous pouvons noter qu’il n’y a que 3 400 juges consulaires dans les tribunaux de commerce… soit plus de 4 fois moins de déclarations et d’entretiens à gérer…

Pour la CFDT, une telle évolution est entendable, à la condition toutefois d’être sérieusement réfléchie dans son contenu.

 

A propos du 2e amendement qui entend limiter à 5 le nombre de mandats successifs de conseillers prud’hommes (au sein d’un seul et même conseil) et fixer à 75 ans l’âge limite d’exercice de la fonction de conseiller prud’hommes

La CFDT ne s’est opposée à la fixation d'un âge limite d'exercice de la fonction prud'homale à 75 ans dans le sens où :

- une telle évolution consisterait à harmoniser les dispositions déjà applicables aux autres juges (professionnels, consulaires des tribunaux de commerce) ;

- les salariés et les employeurs doivent pouvoir être jugés par leurs pairs. Ce qui induit que tout juge prud’homal soit au fait des réalités actuelles du monde du travail.

Par-contre, coupler cette limitation d’âge avec une interdiction d'être candidat dans le conseil de prud'hommes au sein duquel le conseiller prud'homme aurait déjà eu à exercer cinq mandats ne nous semble pas opportun. Certes on peut comprendre l’utilité qu’il y aurait à faire davantage tourner les employeurs et les salariés qui exercent la fonction mais il nous faut aussi tenir compte d’un contexte qui ne nous semble guère être favorable à une telle évolution. Les prud'hommes connaissent en effet d'une grave crise vocationnelle : les candidatures sont difficiles à trouver pour les organisations et les démissions sont encore trop nombreuses.

Aussi, contraindre les conseillers prud'hommes justifiant d'une ancienneté conséquente dans la fonction à ne plus pouvoir présenter leur candidature serait susceptible de fragiliser le fonctionnement d'un nombre non-négligeable de juridictions.

Pour la CFDT, la fixation d’un âge limite d'exercice de la fonction prud'homale à 75 ans devrait se suffire à elle-même. Nous nous sommes associés à une motion votée à l'unanimité du CSP par laquelle nous nous opposons à la limitation des 5 mandats et demandons à son président de se faire le relais de cette opposition auprès du législateur.

 

A propos du 3e amendement qui entend remettre en cause la portée de la règle de parité femmes / hommes des listes de candidats à la fonction prud’homale

- S’agissant du renouvellement général : l’article L. 1441-19 du Code du travail pose le principe de la parité en précisant que « la liste de candidats est composée alternativement d'un candidat de chaque sexe ». Le projet de loi complète cet article d'un second alinéa indiquant que « dans le cas du dépôt d’une liste incomplète de candidats, l’organisation peut désigner des candidats d’un même sexe jusqu’à 50 % de la totalité des sièges qui lui sont attribués et en cas de nombre impair de sièges attribués, jusqu’à 50 % plus un siège ».

- S’agissant des désignations complémentaires : l’article L. 1441-29 du Code du travail précise actuellement qu'en cas de désignation complémentaire, « cette liste de candidats est composée, pour chaque organisation, de manière à ce que l’écart entre le nombre de femmes et d’hommes parmi le nombre de conseillers désignés dans chaque conseil ne soit pas supérieur à un ». Pareillement, le projet de loi complète cet article en posant exactement la même règle que pour le renouvellement général des sièges : « dans le cas du dépôt d’une liste incomplète de candidats, l’organisation peut désigner des candidats d’un même sexe jusqu’à 50 % de la totalité des sièges qui lui sont attribués et en cas de nombre impair de sièges attribués, jusqu’à 50 % plus un siège ».

Pour la CFDT, une telle évolution des textes serait inacceptable car elle ne ferait pas qu'assouplir le principe de parité, elle le remettrait directement en cause. 

 

Les organisations professionnelles ou syndicales ne parvenant pas à présenter des listes complètes de candidats seraient en effet dispensées de l'appliquer puisqu'elles pourraient aller jusqu'à ne présenter des candidats que d'un seul sexe.  

Prenons un exemple pour mieux comprendre : une organisation qui disposerait de 20 sièges à pourvoir au sein d'un conseil et qui serait en capacité de n’y présenter que 10 candidats pourrait faire figurer sur sa liste que des hommes ou que des femmes. Tandis qu’une autre disposant du même nombre de sièges à pourvoir et ne pouvant présenter que 12 candidats pourrait, par exemple, présenter 10 hommes et de seulement 2 femmes.

Nous comprenons bien que l'idée est ici de lutter contre les vacances de siège et de ne pas pénaliser les organisations qui ont du mal à trouver des candidats à faire figurer sur leurs listes. Mais il n’en reste pas moins que cet objectif, aussi noble soit-il, ne doit pas conduire à remettre en cause un principe aussi central que celui de la parité femmes / hommes.

Sur cette question-là, les partenaires sociaux ont déjà été force de propositions. Ils ont opté pour une solution qui a été consignée en 2021 au sein des propositions paritaires pour une justice prud’homale renforcée : « assouplir les règles de parité femmes/hommes : dans le cadre des désignations complémentaires en autorisant un écart réduit d’un ou deux sièges entre les femmes et les hommes afin de faciliter la recherche de candidats » (point 1.1 in fine).

Respecter le dialogue social devrait à notre sens conduire le législateur à reprendre à son compte cette position et non à en construire une à ce point attentatoire au principe même de parité.

Les propositions CFDT pour des amendements à intégrer au projet de loi

Une fois passés les débats en CSP, la CFDT a pris le parti d’investi les débats parlementaires en proposant aux députés -hormis ceux du Rassemblement national- de présenter des amendements permettant de décliner trois des dispositions figurant aux propositions paritaires pour une justice prud’homale renforcée.

Une 1e proposition d’amendement qui entend rendre la formation continue partiellement obligatoire

En l'état actuel du droit, seule la formation initiale est obligatoire pour les conseillers prud'hommes. Si les textes précisent que « tout conseiller prud'homme qui n'a pas satisfait à l'obligation de formation initiale dans un délai fixé par décret est réputé démissionnaire », il n'existe aucun pendant pour la formation continue des conseillers prud'hommes… qui est pourtant tout aussi fondamentale. Aussi, et en déclinaison du 1e point figurant au 1.2 des propositions paritaires pour une justice prud'homale renforcée de 2021, nous avons proposé que le suivi de la formation continue devienne pour partie obligatoire et que, lorsque cette obligation n'est pas respectée, le conseiller prud'homme ne puisse plus présenter sa candidature au mandat suivant.

Une 2e proposition d’amendement qui entend contraindre les juges prud’homaux à motiver les partages de voix

En l’état actuel du droit, les juges prud'hommes qui se mettent en partage de voix n’ont pas à expliquer pourquoi ils le font. Cela ne permet pas aux juges départiteurs de connaître les motifs réels du partage de voix. En déclinaison du 3e point figurant au 3.3 des propositions paritaires pour une justice prud'homale renforcée de 2021, et afin de rationaliser les décisions de partage et, par la suite, de rendre plus efficaces les audiences de départages, il conviendrait que, dossier par dossier, les juges prud’hommes fassent remonter au juge départiteur les raisons de leur incapacité à décider.

Une 3e proposition d’amendement qui entend faire évoluer les règles de désignation complémentaire afin de les rendre plus fluides

La problématique des vacances de sièges a conduit les partenaires sociaux à envisager des évolutions de texte qui permettraient d'assouplir et de fluidifier le processus de désignation complémentaire et de pourvoir plus rapidement au remplacement des conseillers prud'hommes ayant quitté leurs fonctions en cours de mandat.

Au 1.1 des propositions paritaires pour une justice prud'homale renforcée, il est notamment proposé « de mettre en place un portail permanent permettant de désigner tout au long du mandat et en dehors de toute opération de désignation complémentaire spécifique des conseillers prud'hommes ».

Dans l'intérêt du bon fonctionnement de la justice du travail, nous avons proposé le dépôt d’un amendement donnant la main au CSP pour que de telles pistes de réflexion soient réfléchies et travaillées.

 

Deux jours après la tenue de ce CSP, la Cour des comptes a rendu public son rapport sur les prud'hommes. D'autres pistes d'évolution y figurent sous forme de recommandations. Nous aurons rapidement l'occasion de revenir vers vous afin de vous les exposer et de vous indiquer comment la CFDT se positionne.