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Le point sur le droit de grève

Publié le 28/10/2022

Le droit de grève est un droit fondamental reconnu par l’alinéa 7 du préambule de la Constitution du 27 octobre 1946. Il est également consacré par plusieurs textes de droit interne et international. Il consiste à cesser le travail collectivement et de manière concertée en vue d’appuyer des revendications professionnelles.

Conditions

La Cour de cassation définit la grève comme la cessation collective, totale et concertée du travail en vue d’appuyer des revendications professionnelles (1) dont l'employeur doit avoir eu connaissance (2).

  • Cessation du travail

- Cessation totale

La grève suppose une cessation complète du travail.

Ainsi, les mouvements suivants, qui n’entrainent pas un arrêt total du travail, sont illicites et ne peuvent pas être qualifiés de grève.

  • Les comportements adoptés hors d’une période de travail effectif, y compris pendant le temps de pause.
  • La grève perlée, qui se caractérise par un ralentissement volontaire du rythme de travail ou par une exécution dans des conditions volontairement défectueuses.
  • La grève du zèle, qui se traduit par une exécution extrêmement consciencieuse des normes qui régissent l’activité afin de la paralyser.
  • La grève limitée à une obligation particulière du contrat de travail (non-respect d’une obligation astreinte, etc.).

- Cessation collective

La grève est un droit individuel qui doit s’exercer collectivement. En principe, elle ne peut pas être le fait d’un seul salarié. Par exception, un salarié peut faire grève seul s’il est l’unique salarié de l’entreprise(3) ou s’il participe à un appel à la grève lancé au niveau national(4).

Il n’est pas exigé que la totalité des salariés participent à la grève, celle-ci peut être minoritaire.

- Cessation concertée

Les salariés doivent avoir la volonté commune de cesser le travail pour appuyer leurs revendications professionnelles.

A la différence du secteur public, la grève ne doit pas obligatoirement être déclenchée par l’appel d’un syndicat dans le secteur privé.

  • Revendications professionnelles

Les revendications invoquées doivent avoir un caractère professionnel et intéresser les salariés qui participent au mouvement.

Par exemple ces revendications peuvent porter sur :

- le salaire,

- les conditions de travail,

- l’aménagement du temps de travail,

- un système de retraite,

- le droit syndical,

- ...

La grève qui conteste des décisions purement politiques est illicite.
Il en va autrement si des revendications sociales et professionnelles sont portées. Par exemple, une grève nationale pour la défense des retraites est licite.

Les mouvements d’autosatisfaction sont prohibés. Ainsi, la grève ne peut pas être uniquement destinée à permettre aux salariés d’exécuter leur travail dans les conditions qu’ils revendiquent, autres que celles prévues par leur contrat. Par exemple, la cessation du travail plusieurs samedis de suite par des salariés ne voulant pas travailler ce jour-là n'est pas licite (5). 

Les grèves de solidarité interne (soutien de salariés de la même entreprise) ou externe (soutien de salariés appartenant à d’autres entreprises) sont licites, dès lors que la mobilisation répond à un intérêt collectif et professionnel.


Il en est ainsi de la grève de soutien à un délégué syndical menacé de licenciement alors qu'il demandait des augmentations salariales dans le cadre d'une négociation annuelle obligatoire (6).

Un salarié détaché dans une entreprise touchée par une grève peut y participer dès lors qu'il est concerné par les revendications professionnelles (7).

Déclenchement

Contrairement au secteur public, les salariés du secteur privé n’ont pas à respecter un préavis de grève :  elle peut être déclenchée à tout moment et sans formalités préalables.

L’employeur doit avoir connaissance des revendications formulées au moment de l’arrêt de travail, à défaut de quoi le mouvement sera illicite.

La grève n’est pas soumise à la condition de rejet des revendications par l’employeur (8).

Dans le secteur privé, le salarié gréviste n’est pas tenu d’informer l'employeur de son intention de se mettre en grève.

Néanmoins, dans les entreprises chargées de la gestion d'un service public, la grève est précédée d'un préavis précisant son début et sa durée envisagée (9).

Dans les entreprises, privées ou publiques, de transport terrestre de voyageurs, la grève nécessite un préavis émanant d'un ou de plusieurs syndicats représentatifs, et ne peut intervenir qu'après une négociation avec l'employeur.

Dans le transport aérien de passagers, les salariés "dont l'absence est de nature à affecter directement la réalisation des vols" doivent déclarer avant le début de la grève s'ils y participent (10). 

Durée

La grève n’est soumise à aucune durée minimale ou maximale. L’arrêt de travail peut être de très courte de durée ou se poursuivre sur une longue période.

Les grèves de courte durée répétées, quelque dommageable qu’elles soient pour la production, n’affectent pas la régularité de la grève, sauf lorsqu’elles entrainent une désorganisation de l’entreprise.

Forme

Il n’existe pas de forme particulière requise de l’arrêt de travail.  

Dans le secteur privé, sauf abus, la grève tournante, qui se caractérise par un échelonnement de la cessation du travail ou un roulement concerté par catégorie professionnelle, ou par secteur d’activité, dont l’objectif est de ralentir le travail et de désorganiser le ou les services, est admise.

Elle est en revanche interdite dans le secteur public !

Sous réserve qu’elle ne se traduise pas par une complète désorganisation de l’entreprise en lui infligeant un préjudice excessif, la grève-bouchon, qui consiste en l’arrêt de travail des salariés occupant une place stratégique dans l’entreprise, est licite.

L’occupation des lieux de travail est licite - sous réserve de l’abus. L’employeur peut formuler une demande d’expulsion des salariés grévistes devant le juge des référés en rapportant la preuve d’un trouble manifestement illicite (atteinte à la sécurité des personnes et des biens...).

Conséquences

  • Salarié gréviste

Suspension du contrat de travail

- Les salariés grévistes conservent leur emploi. Pour assurer la continuité de son activité, l’employeur peut remplacer les salariés grévistes - à certaines conditions.

- L’employeur conserve son pouvoir disciplinaire.

- L’exercice du droit de grève ne peut donner lieu à aucune mesure discriminatoire (notamment en matière de rémunérations et d’avantages sociaux).

- Sauf exception, l’employeur est dispensé de verser le salaire et ses accessoires. La retenue doit être strictement proportionnelle aux arrêts de travail effectifs.

Dans le cas où les salariés se trouvent dans une situation contraignante telle qu’ils ont été obligés de cesser le travail pour faire respecter leurs droits essentiels, directement lésés par la suite d’un manquement grave et délibéré de l’employeur à ses obligations, l’employeur peut être condamné à payer une indemnité compensatrice du salaire perdu.

Sanction du salarié

L'article L. 1132-2 du Code du travail dispose qu'aucun salarié ne peut être sanctionné, licencié ou faire l'objet d'une mesure discriminatoire en raison de l'exercice normal du droit de grève.

L’exercice du droit de grève ne peut justifier aucune sanction disciplinaire (avertissement, mise à pied, licenciement...), sauf faute lourde imputable au salarié. Tout licenciement prononcé en l’absence de faute lourde est nul de plein droit !

Attention : lorsque la grève est illicite, les salariés ne sont pas considérés comme grévistes et ne bénéficient donc pas de la protection propre au droit de grève !

Réquisition des salariés grévistes

Sauf dispositions législatives contraires, l'employeur ne peut en aucun cas s'arroger le pouvoir de réquisitionner des salariés grévistes (11) ! Le juge judiciaire n'a pas non plus ce pouvoir, même en référé.

Cependant, le Préfét peut réquésitionner des salariés grévistes en cas d'urgence, lorsque l'atteinte constatée ou prévisible au bon ordre, à la salubrité, à la tranquillité et à la sécurité publique l'exige et que les moyens dont il dispose ne permettent plus de poursuivre les objectifs pour lesquels il détient des pouvoirs de police (12).

Le Conseil d'Etat estime que le Préfet peut "requérir les salariés en grève d'une entreprise privée dont l'activité présente une importance particulière pour le maintien de l'activité économique, la satisfaction des besoins essentiels de la population ou le fonctionnement des services publics, lorsque les perturbations résultant de la grève créent une menace pour l'ordre public"(13). (Il s'agissait en l'espèce de grévistes d'un établissement pétrolier).

  • Salariés non-grévistes

L’employeur doit fournir du travail aux non-grévistes, ces derniers peuvent prétendre au paiement du salaire et de ses accessoires. Il peut toutefois s’exonérer de cette obligation en cas de force majeure lui empêchant de fournir une activité (occupation des locaux, piquets de grève...).

 

[1] Cass.soc. 02.02.06, n°04-12.336.

[2] Cass.soc. 22.10.14, n°13-19.858.

[3] Cass.soc. 13.11.96, n°93-42.247.

[4] Cass.soc. 29.05.79, n°78-40.553.

[5] Cass.soc.17.12.03, n°01-46.251.

[6] Cass.soc. 05.01.11, n°10-10.685.

[7] Cass.soc. 23.11.78, n°77-40.946.

[8] Cass.soc. 11.07.89, n°87-40.727.

[9] Art. L.2512-2 C. trav.

[10] Art. L.1114-3 C. transp.

[11] Cass.soc. 15.12.09, n°08-43.603.

[12] Art. L.2215-1, 4°, CGCT.

[13] CE 27.10.10, n°343966.