Loyauté des négociations : toujours un principe, ou "des mots, rien que des mots…" ?

Publié le 08/12/2021

Un arrêt rendu par la Chambre sociale le 10 novembre dernier, et destiné à être publié, invite à s’interroger sur le sens que la Haute juridiction entend donner au « principe de loyauté » des négociations. 

Dans cette espèce, il est vrai très particulière, la Cour décide que la décision unilatérale, prise alors que les négociations de l’accord de substitution étaient encore en cours, ne contrevient pas au principe de loyauté. Cass.soc.10.11.21, 21-17717.

Une fédération dénonce un accord de branche...

Fin août 2011, la fédération des établissements hospitaliers et d’aide à la personne privés à but lucratif (FEHAP) dénonce partiellement la convention collective de branche.

Début septembre 2012, invoquant le risque de « vide conventionnel » du fait de l’expiration prochaine de la période de survie de l’accord dénoncé, la FEHAP adopte une recommandation patronale, qu’elle a soumise à agrément, conformément à la procédure requise dans ces établissements.

L’article L.341-6 du Code de l’action sociale et des familles prévoit que les conventions collectives qui engagent l’Etat à des dépenses ne peuvent entrer en vigueur qu’après agrément. Selon la Cour de cassation, ce texte est également applicable aux mesures unilatérales décidées par l’employeur.

Début novembre 2012, un accord est signé, mais il fait l’objet d’une opposition majoritaire. La recommandation patronale reçoit l’agrément le 21 décembre.

Une fédération syndicale saisit alors le tribunal administratif pour contester l’agrément et soutient, en substance, qu’en adoptant une mesure unilatérale alors que les négociations étaient encore en cours et que la période de survie de l’accord n’était pas arrivée à expiration, la FEHAP avait employé un procédé déloyal.

L’article L.2261-13 du Code du travail prévoit qu’un accord survit 12 mois après l’expiration de la période de préavis qu’il prévoit (qui est à défaut de précision conventionnelle de 3 mois), soit en général 15 mois après sa dénonciation.
A l’expiration de ce délai, en l’absence d’accord de substitution, les salariés bénéficient d’une garantie de rémunération (avant la loi de 2016, ils bénéficiaient des « avantages individuels acquis »).

 

Le Conseil d’Etat pose alors une question préjudicielle à la chambre sociale de la Cour de cassation afin de savoir « si cette recommandation patronale pouvait valablement suppléer à l’absence d’accord collectif, alors même que sa négociation était en cours, et si l’opposition syndicale majoritaire à l’accord de substitution du 12 novembre 2012 a eu un effet sur la validité de la recommandation patronale, de contenu similaire à cet accord ».

Un assouplissement du principe de loyauté, sans remise en cause

Après un examen minutieux des faits de l’espèce soumis aux juges du fond et de leur particularité, la Haute juridiction décide  que :

« en adoptant la recommandation patronale (…) tout en poursuivant les négociations, la FEHAP n’avait pas agi de manière déloyale mais fait en sorte qu’à l’expiration de la période de survie de la convention collective dénoncée, les salariés employés par les entreprises adhérentes puissent continuer à bénéficier de dispositions conventionnelles plus avantageuses que les dispositions légales ».

Pour adopter cette solution, divergente de ses jurisprudences antérieures interdisant l’adoption de mesures unilatérales tant qu’une négociation est en cours (1), voire en font un délit d’entrave (2), la Cour de cassation prend le soin de souligner les spécificités de l’espèce, ou en d’autres mots, de poser des conditions à cette tolérance.

Ainsi, l’adoption de cette mesure n’était pas déloyale car :

  • les dispositions adoptées étaient plus favorables que les dispositions légales ;
  • ces dispositions avaient vocation à s’appliquer à l’ensemble des salariés, alors que le maintien des avantages acquis n’aurait bénéficié qu’aux salariés engagés antérieurement à l’expiration de la période de survie de l’accord.

En outre, la Haute juridiction considère que la procédure d’agrément était rendue obligatoire par l’article L.341-6 du Code d’action sociale tant pour un accord collectif à vocation salariale que pour une recommandation patronale. Or, cette recommandation ne devait s’appliquer qu’à défaut d’accord à l’expiration de la période de survie, date qui approchait dangereusement (un an s’était écoulé et une trentaine de réunions de négociation).

Si la solution s’explique ainsi aisément par ces circonstances très particulières, il n’en demeure pas moins que l’arrêt est publié et semble prôner davantage de souplesse de la jurisprudence faisant de l’interdiction de prendre des mesures unilatérales pendant une négociation une composante du principe de loyauté.

La vigilance s’impose donc afin qu’une telle solution ne dévie pas vers une conception uniquement civiliste de la loyauté qui ne couvrirait finalement que le partage d’informations (si important soit-il) …

 

(1) Cette interdiction figure à l’article L.2242-4 du Code du travail s’agissant des négociations obligatoires en entreprise. Elle a conduit par exemple la Cour de cassation à interdire la dénonciation d’un accord collectif pendant une négociation (Cass.soc. 29.06.94, n°91-18640) et à juger déloyale la signature d’avenants aux contrats de travail en cours de négociation (Cass.soc. 28.11.01, n°00-11209).

(2) Cass.soc.18.11.97, n°96-800002 : s’agissant de décisions de l’employeur prises au terme d’un accord avec les IRP lorsque des négociations sont possibles avec des représentants syndicaux.

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