Accords collectifs : de l’importance de la loyauté des négociations

Publié le 19/05/2021

Depuis quelques années, la place de la négociation collective -et en particulier de la négociation d’entreprise- a été renforcée. Dans cette perspective, si la légitimité des acteurs habilités à signer les accords est un prérequis indispensable, le processus même de négociation doit lui aussi être exempt de tout vice.

Nous vous présentons ici les diverses règles visant à garantir la loyauté des négociations, des accords de méthode aux règles empruntées au droit des contrats.

Pourquoi la loyauté des négociations collectives est-elle devenue si importante ?

Dans le prolongement du concept civiliste de bonne foi des parties au contrat, l’idée de loyauté des négociations s’est imposée progressivement comme un concept indispensable en droit du travail. Si cette exigence de loyauté est explicitement prévue par le Code pour ce qui relève de l’exécution des accords collectifs (1), elle est plus implicite concernant le processus de négociation collective. Certes, la notion de négociation loyale n’est pas totalement absente du Code du travail.

Ce dernier contient en effet des règles spécifiques pour certaines négociations (2), notamment pour les négociations annuelles obligatoires (3) : obligation de communiquer des informations, établissement d’un calendrier, interdiction de prendre des mesures unilatérales dans les matières traitées par les négociations... Plus récemment, la jurisprudence a reconnu une obligation de loyauté dans la négociation du protocole pré-électoral, dont la sanction peut aller jusqu’à l’annulation du PAP, pourtant conclu à une double majorité (4).

Globalement, l’importance de la loyauté dans le processus même de négociation va croissant au fur et à mesure que la place de l’accord collectif devient centrale. Pour autant, aucun principe général de loyauté des négociations collectives n’est inscrit dans le Code du travail. Et ce, alors même qu’avec la loi Travail du 8 août 2016, puis les ordonnances de septembre 2017, la négociation dans l’entreprise devient le principal vecteur de création de la norme et que certains accords (les accords de performance collective) peuvent conduire à écarter des clauses plus favorables du contrat de travail.

Dans ce contexte, l'attention portée au processus de négociation revêt une importance capitale. En clair, si nous voulons des accords de qualité, il faut garantir la qualité des négociations.

A cette fin, plutôt que d’édicter un principe général de loyauté des négociations, le législateur a choisi de consacrer les accords de méthode dans le Code du travail.

Cela est-il suffisant ? A défaut, ou en complément, un retour au bons vieux principes civilistes s’impose !

Les accords de méthode, principal levier pour assurer la loyauté des négociations

Dans la lignée du Rapport Combrexelle, et s’inspirant de la pratique, la loi Travail de 2016 a reconnu la possibilité de conclure des accords de méthodes préalablement à la négociation de conventions ou d’accords collectifs. Ainsi, la loi a-t-elle renforcé ces accords et précisé leur objectif : permettre « à la négociation de s’accomplir dans des conditions de loyauté et de confiance mutuelle entre les parties » (4).

  • Le contenu des accords de méthode

Pour créer les conditions d’une négociation loyale, la loi précise que ces accords doivent :

  • préciser la nature des informations partagées entre les négociateurs en s’appuyant sur la base de données économiques, sociales et environnementales ;
  • définir les principales étapes du déroulement des négociations ;
  • prévoir des moyens supplémentaires ou spécifiques pour les représentants syndicaux.

Voilà pour les éléments qui doivent a minima figurer dans ces accords. Rien n’empêche cependant les négociateurs d’aller plus loin et d’intégrer tout ce qui peut favoriser la loyauté des négociations.

Les décisions de la Cour de cassation et les dispositions du Code du travail permettent d’identifier les principales caractéristiques d’une négociation loyale (6). Pour éviter la nullité de l’accord en raison du défaut de loyauté, les négociateurs peuvent s’entendre notamment sur :

- les modalités de convocation de toutes les organisations syndicales concernées aux négociations ;
- des négociations communes à toutes les organisations syndicales représentatives dans le champ concerné ;
- la transmission des informations nécessaires, pertinentes et appropriées dans des conditions égales ;
- le comportement attendu des acteurs de la négociation (par exemple, le fait d'avoir une attitude dynamique d'échanges et de propositions, de s'engager pour l'employeur à ne pas agir par décision unilatérale pendant les négociations...)

L’accord de méthode peut prévoir de manière précise la manière dont ces engagements seront remplis.

Pour la CFDT, les accords de méthode ont de nombreux avantages. Avant tout, ils permettent d’éviter les conflits qui pourraient survenir durant une négociation. Ensuite et surtout, la détermination des informations à partager et des modalités relatives au respect de la confidentialité, mais aussi des moyens ainsi que du calendrier de la négociation, favorise des négociations loyales et sereines et in fine la conclusion d’un accord collectif équilibré.

Des accords facultatifs, avec des sanctions à la carte

Malheureusement, la conclusion d’un accord de méthode avant d’entamer une négociation n’est pas obligatoire. En revanche, comme le souhaitait la CFDT, une fois conclus, ces accords peuvent avoir une réelle efficacité. En effet, la loi prévoit que, quel que soit le niveau de l’accord de méthode, celui-ci peut détailler les stipulations dont la méconnaissance est de nature à entraîner la nullité des accords conclus postérieurement (7). Autrement dit, l’accord de méthode peut prévoir que la violation de certaines de ses clauses ait des conséquences sur la validité de l’accord négocié par la suite.

L’article L2222-3-2 du Code du travail prévoit que ces accords de méthode peuvent également être conclus par la branche pour s’appliquer aux négociations dans les entreprises n’ayant pas conclu de d’accords de méthode.
Cette possibilité est intéressante, car elle permet aux branches de pallier la défaillance des entreprises de leur champ à encadrer la méthode de négociation.
A noter toutefois qu’un accord de méthode conclu au niveau de l’entreprise peut écarter les dispositions conclues au niveau de la branche (8).

 

La loyauté des négociations dans le Code civil : l’obligation précontractuelle d’information

Si l’accord collectif produit des effets exorbitants du droit des contrats (effets dits réglementaires et erga omnes) il n’en demeure pas moins une forme de contrat, du moins en ce qui concerne le processus de négociation.

Aussi, au-delà des accords de méthode, spécifiques au droit du travail, les règles du droit des contrats peuvent-elles trouver à s’appliquer et être utiles dans certains cas. 

D'autant que la loyauté des négociations s'y incarne à travers une obligation précontractuelle de bonne foi, ce qui suppose la communication de certaines informations.

Depuis la réforme du Code civil de 2016, la bonne foi dans la formation du contrat est reconnue à l’article 1112. Celui-ci prend place dans une sous-section dénommée « les négociations » et dispose que « l'initiative, le déroulement et la rupture des négociations précontractuelles (…) doivent impérativement satisfaire aux exigences de la bonne foi ». Plus précisément, l’article 1112-1 du même Code consacre un devoir d’information précontractuelle, pour les « informations qui ont un lien direct et nécessaire avec le contenu du contrat ou la qualité des parties ».

Est ainsi posée une obligation générale de loyauté lors des négociations : « celle des parties qui connaît une information dont l'importance est déterminante pour le consentement de l'autre doit l'en informer dès lors que, légitimement, cette dernière ignore cette information ou fait confiance à son cocontractant ».

 

Aussi, le Code civil peut-il être permettre de sanctionner des comportements de rétention des informations nécessaires au bon déroulement d’une négociation.

 

  • Pendant les négociations, en cas de blocage ou de refus de la direction de communiquer des informations essentielles, il est possible de saisir le juge des référés du tribunal judiciaire pour obtenir ces informations.
  • Une fois l’accord signé, la violation de l’obligation de loyauté peut entraîner une action en nullité. En effet, l’article 1112-1 du Code civil prévoit que le manquement au devoir d’information peut entraîner la nullité au titre des vices du consentement.

Cette action peut cependant se heurter à l’article L 2262-14 du Code du travail, qui enferme dans un délai de 2 mois toute action en nullité de tout ou partie d'une convention ou d'un accord collectif. Mais ce délai n’interdit pas un salarié d'invoquer à tout moment une exception de nullité, notamment lors de la contestation de son licenciement intervenant à la suite de son refus de l’application d’une clause de l’APC en dépit des stipulations contraires de son contrat de travail.

 

 

  • L’article L. 2262-4 du Code du travail dispose que les accords collectifs doivent être exécutés de manière loyale.
  • Art L.3122-36 C.trav pour les négociations sur le travail de nuit.
  • Art L.2242-2 et L.2242-3 C.trav.
  • soc. 6.01.16, n° 15-10.975 ; Cass.soc.9.10.19, n°19-10780.
  • Art L.2222-3-1 C.trav.
  • Soc. 9. 07.96, n°95-13010 ; Cass soc. 10.10.07, n°06-42721
  • L.2253-3 C.trav.
  • Art L.2222-3-1 C.trav.