Salariés protégés : l'importance du statut protecteur réaffirmée

Publié le 10/02/2016

Saisie d’une question prioritaire de constitutionnalité (QPC)(1), la chambre sociale de la Cour de cassation a réaffirmé la nécessaire protection spéciale des salariés investis d’un mandat de représentation du personnel en cas de résiliation judiciaire. Elle a jugé que les articles instituant cette protection ne portaient pas une atteinte disproportionnée à des principes à valeur constitutionnelle tels que la liberté d’entreprendre, la liberté contractuelle ou encore le droit de propriété de l’employeur. Cass. soc. 04.02.16, n° U 15-21536.

Dans cette affaire, un employeur a tenté d’utiliser ces principes constitutionnellement garantis pour faire échec à la protection exceptionnelle dont bénéficie les salariés protégés en cas de rupture du contrat de travail par résiliation judiciaire.

Un salarié peut agir devant le Conseil de prud'hommes pour solliciter la résiliation judiciaire de son contrat de travail en cas de manquements graves de l'employeur à ses obligations. Dans ce cas, les relations contractuelles de travail se poursuivent dans l'attente de la décision du Conseil de Prud'hommes. Si la demande est justifiée, la résiliation judiciaire produira les effets d'un licenciement sans cause réelle et sérieuse(2) ou d’un licenciement nul (cf. infra), à la date de son prononcé par le juge(3).

  • La contestation de la nullité du licenciement en cas de résiliation du contrat d’un salarié protégé.

A l’occasion d’un pourvoi en cassation, un employeur a invoqué l’inconstitutionnalité de certains articles du Code du travail (art. L. 2411-22, L. 2421-1 à L. 2421-5 et L. 2422-4 C.trav.) au regard de la liberté d’entreprendre, la liberté contractuelle et du droit de propriété.

Ici, plus que ces articles prévoyant la protection exceptionnelle des salariés, c’est leur interprétation par la Cour de cassation qui était réellement mise en cause.

En effet, la Haute juridiction juge de manière constante que lorsque la demande émane d’un salarié protégé, la résiliation judiciaire prononcée aux torts de l'employeur produit les effets d'un licenciement nul pour violation du statut protecteur (l’employeur n’ayant pas demandé l’autorisation de licencier le salarié) (4).
Cette demande doit s’apprécier en tenant compte de l’ensemble des règles applicables à son contrat de travail mais aussi des exigences propres à son mandat (5). Ainsi un salarié titulaire d’un mandat représentatif peut faire une demande de résiliation judiciaire si l’employeur a manqué à ses obligations tant à l’égard de son contrat de travail que de son mandat.
La résiliation lui ouvre alors le droit au paiement d'une indemnité égale à la rémunération qu'il aurait dû percevoir jusqu'à l'expiration de la période de protection en cours au jour de la demande de résiliation judiciaire(6).

Par cette question prioritaire de constitutionalité, l’employeur tentait de contester le fait qu’un employeur puisse être condamné pour licenciement nul (et aux indemnités afférentes) sans avoir directement licencié son salarié et, potentiellement, sans avoir manqué à ses obligations au regard de son mandat.

C’est pourquoi la question suivante a été posée à la Cour de cassation :
« Les dispositions des articles L. 2411-22, L. 2421-1 à L. 2421-5 et L. 2422-4 du code du travail, telles qu’interprétées de manière constante par la Cour de cassation, en ce qu’elles impliquent que lorsque la résiliation judiciaire du contrat de travail d’un salarié titulaire d’un mandat électif ou de représentation, y compris extérieur à l’entreprise, est prononcée aux torts de l’employeur, la rupture produit automatiquement les effets d’un licenciement nul pour violation du statut protecteur avec toutes conséquences indemnitaires, que les manquements de l’employeur soient ou non en lien avec le mandat, sont-elles contraires à la liberté d’entreprendre, à la liberté contractuelle et au droit de propriété de l’employeur constitutionnellement garantis ? »

  • Le droit syndical et le principe de participation justifient la protection exceptionnelle

La Cour de cassation a refusé de renvoyer la QPC devant le Conseil constitutionnel. Cette question était néanmoins l’occasion de réaffirmer l’importance des normes sociales constitutionnellement garanties.

Elle rappelle, tout d’abord, que les dispositions législatives mises en causes, prévoyant une protection exceptionnelle contre le licenciement, ont pour objet de garantir l’indépendance des salariés investis d’un mandat représentatif. Elle juge que ces règles « ne portent une atteinte disproportionnée ni à la liberté d’entreprendre, ni au droit de propriété, non plus qu’au droit au maintien de l’économie des contrats légalement formés ».

Elle souligne ensuite un point non négligeable omis par les demandeurs : la résiliation judiciaire n’est prononcée qu’en cas de manquements suffisamment graves pour rendre impossible la poursuite du contrat de travail. La condamnation de l’employeur est ainsi proprement fondée.

Cet argument est d'autant plus pertinent que la résiliation judiciaire a vu son champ d’application réduit par des décisions récentes en 2014(7). Des conditions d’impossibilité de poursuite du contrat de travail et de rapidité sont dorénavant exigées pour pouvoir voir sa demande de résiliation judiciaire accueillie.  

De toute évidence, l’employeur ne pouvait pas raisonnablement arguer de l’absence de lien entre les manquements (justifiant la résiliation judiciaire et produisant les effets d’un licenciement nul) et le mandat du salarié. En effet, lorsque l’employeur ne respecte pas ses obligations au regard du contrat de travail, le mandat du salarié est forcément impacté en ce qu’il ne peut plus exercer normalement son travail. Il ne peut plus, a fortiori, exercer normalement son mandat. D’ailleurs, dans bien des cas, les manquements de l’employeur trouvent leur source dans le mandat (ce qui est constitutif d’une discrimination syndicale).

Pour finir, la Cour de cassation fait elle-même appel à des principes à valeur constitutionnelle : le droit syndical et le principe de participation des travailleurs à la détermination collective des conditions de travail.
Elle affirme que les règles particulières applicables aux salariés protégés ne visent qu’à assurer l’effectivité du droit syndical et du principe de participation. Cela justifie que les représentants du personnel bénéficient, dans l’intérêt de l’ensemble des travailleurs qu’ils représentent, d’une protection exceptionnelle.

Par cette décision, la Cour de cassation fait, fort heureusement, œuvre de rempart face à la tentative de s’attaquer aux droits syndicaux. Elle réaffirme, dans la lignée des arrêts Perrier(8), la nécessité d’une protection exceptionnelle, même en cas de résiliation judiciaire, comme corollaire au droit à la participation des travailleurs.


(1) Une question prioritaire de constitutionnalité peut être posée par tout justiciable, au cours d’une instance judiciaire, pour invoquer l’inconstitutionnalité d’une disposition législative. Cette question est transmise par le juge du fond à la Cour de cassation, puis au Conseil constitutionnel lorsque certaines conditions sont remplies.
La question doit porter sur une disposition législative applicable au litige ou à la procédure, ou constituant le fondement des poursuites. La disposition contestée ne doit pas avoir déjà été déclarée conforme à la Constitution, sauf changement des circonstances.
(2) Cass. soc. 20.01.1998, n° 95-43350
(3) Cass. soc. 11.01.2007, n° 05-40626
(4) Cass. soc. 26.09. 2006, n° 05-41890
(5) Cass. soc. 04.05.2011, n° 09-70702
(6) Cass. soc. 04.03.2009, n° 07-45344 ; Cass. soc. 04.05.2011, n° 09-43206 ; Cass. soc. 13 .02.2013, n° 11-26913 (est incluse la période de protection instituée par le législateur à l’issue du mandat).
(7) Cass. soc. 12.06.2014, n°12-29063 et n°13-11448 
(8) Cass. ch. mixte 21.06.1974, 3 arrêts n°71-91225, n°72-40054, arrêt n°71-91225 (les arrêts Perrier ont fermé à l'employeur le recours à la résiliation judiciaire considérant que, dans cette hypothèse, le défaut de saisine de l'inspecteur du travail était constitutif du délit d'entrave. La Cour de cassation a ainsi consacré le principe du statut protecteur, conférant à ce régime le caractère d’une « protection exceptionnelle et exorbitante du droit commun »).