Rémunération : les différences institués par accord d’établissement présumées justifiées

Publié le 16/11/2016

Lorsqu’un accord d’établissement instaure une politique de rémunération au seul bénéfice de salariés de cet établissement, la différence de traitement instaurée entre salariés appartenant à différents établissements de la même entreprise est présumée justifiée. Cass.soc, 03.11.16

Rappel des faits

Dans cette affaire, un accord d’établissement prévoyant une augmentation de salaire sur 3 ans et le versement d’une prime spécifique a été signé. L’accord prévoit qu’il ne s’appliquera qu’aux seuls salariés de l’établissement visé, les autres salariés de l’entreprise étant alors exclus du bénéfice de la politique salariale qu’il contient.

Considérant que cet accord instaure une différence de traitement entre les salariés travaillant dans différents établissements de l’entreprise, une organisation syndicale a saisi le TGI afin que ledit accord s’applique à l’ensemble des salariés de l’entreprise.

La jurisprudence antérieure : des différences entre établissements d’une même entreprise doivent être justifiées par des raisons objectives

Devant la Cour de cassation, cette organisation syndicale s’appuie sur la jurisprudence de la Cour de cassation et avance l’argument selon lequel « une différence de traitement ne peut être pratiquée entre les salariés relevant d'établissements différents et exerçant un travail égal ou de valeur égale que si elle repose sur des raisons objectives dont le juge doit contrôler concrètement la réalité et la pertinence ».

Cet argument du pourvoi était en effet conforme à la position de la Cour de cassation qui avait jugé en 2009(1) qu’il « ne peut y avoir de différences de traitement entre salariés d'établissements différents d'une même entreprise exerçant un travail égal ou de valeur égale, que si elles reposent sur des raisons objectives dont le juge doit contrôler concrètement la réalité et la pertinence ».

Une modification de jurisprudence : les différences de traitement entre établissements d’une même entreprise et découlant d’un accord d’établissement sont présumées justifiées.

Sans grande surprise, la Cour de cassation, dans son arrêt du 3 novembre 2016, revient sur sa jurisprudence de 2009 en retenant que les « différences de traitement entre salariés appartenant à la même entreprise mais à des établissements distincts, opérés par voie d’accords d’établissement (…) sont présumées justifiées de sorte qu’il appartient à celui qui les conteste de démontrer qu’elles sont étrangères à toute considération de nature professionnelle »

La Cour de cassation s’inscrit en effet dans le prolongement logique des arrêts rendus le 27 janvier 2015 (2) par lesquels elle avait considéré que les différences de traitement entre catégories professionnelles opérées par voie de conventions ou accords collectifs sont présumées justifiées, celui qui les conteste devant alors démontrer qu’elles sont étrangères à toute considération de nature professionnelle.

Deux régimes en fonction de la source de l’inégalité de traitement

Avec cet arrêt, la Cour confirme la coexistence de deux régimes en matière d’inégalité de traitement qui dépendent de la source de cette inégalité :

- lorsque l’inégalité de traitement a pour origine une décision unilatérale de l’employeur, alors s’applique le régime « classique », où le demandeur à l’action doit apporter des éléments de faits susceptibles de caractériser une différence, et où l’employeur doit démontrer que cette différence repose sur des raisons objectives dont le juge doit contrôler la réalité et la pertinence. La Cour de cassation l’a d’ailleurs rappelé dans un arrêt récent commenté dans les lignes du Carnet juridique (3) ;

- Mais, lorsque l’inégalité de traitement trouve sa source dans un accord d’établissement ou dans une convention collective, alors il existe une présomption de justification. Cette présomption a pour conséquence un renversement de la charge de la preuve, car ce ne sera  plus à l’employeur de prouver que les différences sont justifiées par des raisons objectives, mais bien au demandeur à l’action en inégalité de traitement de rapporter cette preuve.

Une solution conforme aux règles relatives à la représentativité, qui redonne aux délégués syndicaux plus de marge de manœuvre et d’appréciation dans la négociation des accords.

Cette décision de la Cour semble beaucoup plus conforme à la loi sur la représentativité que celle de 2009 : en effet, elle reconnaît aux organisations syndicales représentatives, qui ont, depuis la loi relative à la représentativité de 2008, plus de légitimité, une plus grande marge de manœuvre lorsqu’elles négocient des accords. Il était en effet difficilement compréhensible de voir des accords négociés et signés par des organisations syndicales représentatives, et donc légitimes, être remis en cause pour atteinte au principe d’égalité de traitement.

D’ailleurs, la Cour de cassation le précise elle-même dans son attendu : de tels accords d’établissements sont « négociés et signés par les organisations syndicales représentatives au sein de ces établissements, investies de la défense des droits et intérêts des salariés de l’établissement et à l’habilitation desquelles ce dernier participent directement par leur vote », ce qui leur donne toute leur force.

Pour la CFDT, cette décision ne fait que confirmer la confiance que l’on doit donner à nos délégués syndicaux, en leur capacité à négocier des accords justes, adaptés aux réalités des établissements, entreprises ou branches professionnelles.



(1) Cass.soc, 21.01.09, n°07-43452.

(2) Cass.soc, 27.01.15, n°13-22179.

(3) Cass.soc, 14.09.16, n°15-11386.