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Mixité proportionnelle : quelle règle s’applique quand il n’y a qu’un candidat en lice ?

Publié le 17/05/2018

Peut-on s’exonérer du principe de mixité proportionnelle en déposant 1 seul candidat pour 2 sièges à pourvoir ? Non, pour la Cour de cassation ! Force ouvrière l'a tenté, mais les juges ont refusé que le principe de mixité proportionnelle puisse être si aisément contourné. Une décision certes bienvenue, mais qui soulève au final plus de questions qu'elle n'en règle. La décision interroge notamment sur la possibilité pour les organisations de présenter des listes incomplètes. Elle laisse dubitatif sur l'interprétation que livre la Cour de cassation sur l'obligation de faire figurer un candidat de chaque sexe. Cass.soc.09.05.18, n°17-14088.

  • Faits et procédures

Dans une entreprise, le collège des cadres compte 77 % de femmes. Pour les élections professionnelles, ce collège totalise 2 sièges. Pour tenter de contourner la règle de la mixité proportionnelle, le syndicat Force ouvrière avait déposé une liste ne contenant qu’un seul candidat, en l’occurrence un homme. Il s’agit ici de faire reconnaître que s’il y a un candidat unique pour plusieurs sièges à pourvoir, celui-ci peut être, de façon indifférente, un homme ou une femme. FO a ici tenté de limiter l’application du principe de mixité proportionnelle, en revendiquant le fait que la règle ne s'applique qu'aux listes de candidats (et a contrario pas aux candidatures uniques).

Le candidat FO a été élu, la Caisse primaire d’assurance maladie de l’Indre a alors saisi le tribunal d’instance dans le but d’obtenir l’annulation de son élection, suite au non-respect de la mixité proportionnelle par la liste FO.

Déboutée par le tribunal, la CPAM a formé un pourvoi en cassation. Fort heureusement, la cour a corrigé l’interprétation des juges du fond en reconnaissant, dans un arrêt très attendu par la CFDT, que le principe doit bien s’appliquer au cas d’espèce.

  • La mixité proportionnelle : un acquis à défendre 

Pour rappel, la mixité professionnelle est un acquis revendiqué et obtenu par la CFDT. Elle a été obtenue dans la loi sur le dialogue social de 2015 dite "loi Rebsamen". Ce principe a été précisé dans les ordonnances de septembre 2017 et leur loi de ratification, notamment au sujet des sanctions en cas de non-respect.

L’article L. 2314-30 ( anc. L. 2314-24-1) prévoit que : « Pour chaque collège électoral, les listes mentionnées à l'article L. 2314-29 qui comportent plusieurs candidats sont composées d'un nombre de femmes et d'hommes correspondant à la part de femmes et d'hommes inscrits sur la liste électorale. Les listes sont composées alternativement d'un candidat de chaque sexe jusqu'à épuisement des candidats d'un des sexes. »

Suite à la mise en place de cette mesure, ô combien majeure pour l’égalité réelle entre les sexes y compris au niveau des représentants du personnel, de nombreux syndicats ont essayé de ruser pour éviter d’appliquer cette nouvelle règle. C’est le cas de FO en l’espèce, qui partait du principe qu’en déposant une liste uninominale on ne pourrait pas lui reprocher l’absence de femme (pourtant majoritaire dans le collège) sur cette dernière, alors que le candidat  masculin correspond au sexe sous-représenté.

  • Une décision qui réaffirme l'impérativité de la règle

"Deux postes étant à pourvoir, l'organisation syndicale était tenue de présenter une liste conforme à l'article L.2324-22-1". Par cet attendu, la Haute juridiction défait les espoirs du syndicat FO et l’affirme clairement : peu importe qu’il n’y ait qu’un nom sur la liste, dès lors qu’il y a plusieurs sièges à pourvoir, c’est la règle de la mixité proportionnelle qui doit être appliquée.

La Cour de cassation fait le choix de préserver le principe, mais surtout son esprit. Ainsi, lorsqu’il y a 2 sièges à pourvoir, la règle de la mixité proportionnelle ne peut être contournée par la présentation d’une liste uninominale, la liste doit se conformer à l’article L. 2324-22-1 dans son esprit. Il n'est donc pas possible de présenter un seul candidat masculin pour un collège comportant majoritairement des femmes.

  • Une remise en cause des listes incomplètes?

Là où la Cour aurait pu se contenter d'affirmer que ladite candidature aurait dû être celle d’une femme, elle choisit une autre voie et semble aller bien plus loin et rompre avec sa jurisprudence antérieure concernant les listes uninominales. Pour elle, "l'organisation était tenue de présenter une liste (...) comportant nécessairement une femme et un homme".

Une affirmation qui paraît difficilement compatible avec la liberté offerte aux syndicats de présenter des listes incomplètes. Si, en l'espèce, le choix de présenter une liste avec un seul nom semblait ici faite à dessein, pour contourner la règle de la mixité, il arrive aussi que les organisations n'arrivent pas à trouver le nombre de candidats nécessaires pour présenter une liste complète.

En affirmant l'obligation de présenter deux candidats (et non pas un seul), la Cour rompt avec le principe de liberté syndicale dans le choix de leurs candidats et de leurs nombres! Principe constamment rappelé par la chambre sociale (2), ainsi qu'elle le souligne dans sa note explicative.

La Cour avait par ailleurs toujours admis la validité des candidatures uniques y compris lorsque plusieurs sièges sont à pourvoir au sein d’une instance collégiale (3), ce qu’elle semble donc maintenant remettre en cause. 

Jusqu'où ira cette intrusion dans la composition des listes syndicales? Sera-t-elle circonscrite aux seules listes uninominales? Ou s'applique-t-elle à toutes les listes incomplètes? Espérons qu'elle sera la plus limitée possible...

  • Une interprétation discutable sur la portée de la décision du Conseil constitutionnel

Toutefois la décision de la Cour de cassation interroge sur l'interprétation qu'elle donne quand à la composition précise de la liste en question, à la lumière de la décision du Conseil constitutionnel. Pour elle, "l'organisation était tenue de présenter une liste (...) comportant nécessairement une femme et un homme, ce dernier, au titre du sexe sous représenté dans le collège considéré".

Pour justifier son raisonnement elle renvoit à la décision du Conseil constitutionnel du 19 janvier dernier (1) qui s'est prononcé sur la QPC de FO (là encore).

Les sages de la rue Montpensier avaient précisé qu'il était loisible au législateur de prévoir un mécanisme de représentation proportionnelle des femmes et des hommes au sein du comité d’entreprise et de l’assortir d’une règle d’arrondi pour sa mise en oeuvre, mais que l'application de cette règle d’arrondi ne saurait porter atteinte au droit d’éligibilité aux institutions représentatives du personnel et au principe de participation, faire obstacle à ce que les listes de candidats puissent comporter un candidat du sexe sous-représenté dans le collège électoral. Une modération rapidement intégrée dans la loi par les ordonnonances récente. Désormais, figure dans le Code du travail, à l’article. L. 2314-30, un nouvel alinéa : « Lorsque l’application de ces règles conduit à exclure totalement la represention de l’un ou l’autre sexe, les listes de candidats pourront comporter un candidat du sexe qui, à défaut ne serait pas representé. Ce candidat ne peut être en première position sur la liste. » (article non applicable au litige en l'espèce.

Pour la Cour de cassation, la réponse à cette QPC implique qu'il aurait fallu présenter une femme en tête de liste, puisqu'il s'agit du sexe majoritaire, et que le second candidat aurait dû être un homme, au titre du sexe sous représenté. En l'espèce, l'application de la règle de mixité aurait abouti à ce qu’aucun homme ne soit élu dans ce collège (2 sièges et 23% d'hommes; 2 x 23 / 100 = 0,46. Ce qui est inférieu à 0,5).

Or, si le Conseil constitutionnel ouvre la faculté de présenter, dans certains cas limites, un candidat du sexe sous représenté (à condition de ne pas le mettre en tête de liste), il n'a aucune obligation de le faire. Pour nous l'interprétation de la Cour va trop loin.

  • Une question en suspens

Si la Cour de cassation clarifie ici un point important, plusieurs questions continuent de se poser. Par exemple, le principe de mixité doit-il s’appliquer au regard du nombre de personnes sur la liste, ou au contraire doit-il s’appliquer sur la base d'une liste complète?

Si on suit la logique de cet arrêt, qui est de préserver au maximum l’esprit du texte, le principe devrait s’appliquer pleinement et l’absence d’une ou deux personnes sur la liste ne pourrait servir d’excuse pour ne l’appliquer que partiellement. 

Pour aller plus loin :

Egalité hommes / femmes : le Conseil constitutionnel valide le principe de mixité proportionnelle

(1) Décision n° 2017-686 QPC, 19.01.18.
(2)  cass.soc. 19.03.86, n°85-60.439, Bull n°101 ; Soc. 16 novembre 1993, n°92-60.306, Bull n°275.
(3) Cass.soc.17.12.86, n°86-60.278, Bull n°608.