IRP : l’aménagement de certains délais de consultation et d’expertise en raison de l’urgence

Publié le 06/05/2020 (mis à jour le 11/05/2020)

L’article 9 de l’ordonnance du 22 avril 2020, modifié par l’ordonnance du 2 mai, et complété par des décrets du même jour, prévoit l’application temporaire de délais de consultation et d’expertise dérogatoires lorsque les consultations et expertises portent sur des décisions de l’employeur ayant pour objet « de faire face aux conséquences économiques, financières et sociales de la propagation de l'épidémie de Covid-19 ».

Le champ d’application de ces dispositions, qui prévoient des délais extrêmement raccourcis, pose toutefois quelques difficultés. Ord. n° 2020-460 du 22 avril 2020 portant diverses mesures prises pour faire face à l'épidémie de covid-19, article 9, modifié par ord. n° n° 2020-507 du 2 mai 2020  et complété par décrets du 2 mai 2020 (n°2020-508 et 2020-509).

  • Consultations, expertises et entreprises concernées par l’application des délais Covid

Les délais qui peuvent être raccourcis en application de ces textes dérogatoires sont les délais légaux, mais également tous les délais prévus par les accords et les conventions collectives.

Bien que leur champ d’application soit relativement large, ces délais exceptionnellement raccourcis (v. ci-dessous) ne s’appliquent bien évidemment et heureusement pas à toutes les consultations.

Plusieurs critères doivent être pris en compte pour déterminer si les délais dérogatoires sont applicables :

  • l’objet de la consultation ;
  • les exclusions expressément prévues par le texte ;
  • la taille de l’entreprise.

- L’objet de la consultation. Pour que ces délais dérogatoires au droit commun s’appliquent, il faut tout d’abord que l’information-consultation porte sur « des décisions de l’employeur ».

Il s’agit bien là du critère déterminant mis en avant par le législateur. Pour que les délais raccourcis s’appliquent, la consultation doit porter sur des décisions de l’employeur qui ont « pour objectif de faire face aux conséquences économiques, financières et sociales de la propagation de l'épidémie de Covid-19 ».

Dès lors, il existe un certain flou sur le champ d’application matériel du texte :

à partir de quand une réorganisation générant des suppressions d’emplois en fait-elle partie ?

Faut-il qu’elle n’ait été envisagée qu’à partir de mars ou avril 2020, ou bien peut-elle être concernée dès lors que la procédure de consultation est engagée entre le 2 mai et le 23 août 2020, et ce quand bien même l’éventualité de la réorganisation aurait été évoquée bien avant ? 

Une question similaire peut également se poser à propos des projets importants modifiant les conditions de travail.

Selon nous, le caractère dérogatoire et exceptionnel du texte doit conduire à n’appliquer les délais raccourcis qu’aux décisions (ou projets de) qui ont exclusivement pour objet de régler les conséquences du Covid pour l’entreprise. En conséquence, tout ce qui avait été envisagé avant et tout ce qui n’en est que la suite logique ne devrait pas se voir appliquer ces délais.

Il appartiendra néanmoins aux juges de trancher ces questions, dont il y a fort à parier qu’ils seront saisis.

Plus prosaïquement, le texte envisage des exclusions expresses et en suggère d’autres entre les lignes...

-Les exclusions expressément prévues par le texte (et celles qui ne le sont pas). L’ordonnance du 2 mai prévoit expressément deux hypothèses dans lesquels les délais dérogatoires ne peuvent en aucun cas s’appliquer.

Il s ‘agit :

  • des consultations et expertises dans le cadre d’un PSE (plans de sauvegarde de l’emploi) ;
  • des consultations et expertises auxquelles pourraient donner lieu les APC (accords de performance collective).

Le décret n° 2020-508 du 2 mai exclut également en son article 2, l’ensemble des consultations récurrentes, à savoir la consultation sur les orientations stratégiques, celle sur la situation économique et financière de l’entreprise, et celle sur les politiques sociales.

Il faut, bien sûr, saluer l’exclusion des PSE de ces dérogations. Les inclure aurait été très choquant. Et des APC aussi.  L’exclusion des APC est toutefois un peu étrange, car sauf si l’accord le prévoit ou si l’APC consigne les modalités de mise en œuvre d’un projet important modifiant les conditions de travail, il n’y a en principe ni consultation ni droit au financement d’une expertise dans ce cas.

Le recours à un expert est toutefois possible pour assister les organisations syndicales dans les négociations (1), mais il ne donne pas automatiquement droit à une prise en charge par l’employeur (il faut la négocier).

En revanche, le fait que les RCC ne soient pas exclues est étonnant et regrettable. Néanmoins dans ce cas, il y a une négociation, en espérant que les équipes accèdent aux informations utiles à cette fin.

D’ailleurs, il eût sans doute été préférable que soient exclus de l’application des délais dérogatoires toutes les consultations portant sur des suppressions d’emplois ou des réductions d’effectifs.

En effet, outre les RCC, certains cas de réorganisations avec suppressions collectives d’emplois pourraient être soumis à ces délais raccourcis. 

Ainsi, les licenciements de moins de 10 salariés ne sont-ils pas expressément exclus. Le risque est de favoriser la pratique dite des "petits paquets". Normalement, en cas de licenciements collectifs de moins de 10 salariés (entre 2 et 9 salariés sur 30 jours), l’article L1233-8 du Code du travail prévoit une consultation du CSE assez complète sur les raisons économiques, les catégories professionnelles et le nombre de licenciements, avec un délai d’1 mois pour rendre un avis.

Par contre, il n’y a pas de droit à expertise.  Comme dit précédemment, les délais raccourcis pourraient s’appliquer, sous réserve que le projet de suppressions d’emplois soit la conséquence du Covid-19. Néanmoins, ce point peut être discuté dans la mesure où les délais raccourcis sont une dérogation aux délais fixés par l’article R.2312-6 du Code du travail, qui lui-même n’est applicable que pour les consultations « pour lesquelles la loi n'a pas fixé de délai spécifique » (2.)…Si les juges suivent cette interprétation des textes, le délai d’1 mois pourrait s’appliquer, car il existe ici un texte spécifique, propre au droit du licenciement économique.

 

-La taille de l’entreprise (au moins 50 salariés). Bien que ni l’ordonnance ni les décrets ne le disent de manière expresse, il paraît raisonnable de considérer que les délais raccourcis ne sont applicables que dans les entreprises d’au moins 50 salariés. En effet, les textes auxquels il est prévu déroger temporairement sont exclusivement applicables dans les entreprises atteignant cet effectif.

Il en résulte par exemple qu’un projet de licenciement d’entre 2 et 9 personnes dans une entreprise de 35 salariés donnerait lieu à une consultation avec un délai d’1 mois pour rendre un avis, tandis que le délai pourrait être ramené à 8 jours dans une entreprise d’au moins 50 salariés…

Le plus logique serait donc d’exclure également les consultations sur des licenciements compris entre 2 et 9 personnes dans les entreprises d’au moins 50 salariés, ce pour quoi l’application des délais dérogatoires aux seuls cas où il n’existe pas de délai spécifique tend également (cf. ci-dessus).

 

  • Les délais dérogatoires liés au Covid-19

Plusieurs types de délais sont raccourcis par les textes liés au Covid : les délais d’information-consultation, mais aussi les délais qui y sont liés en cas de recours à une expertise (et de demandes d’informations complémentaires), ainsi que ceux relatifs à la transmission de l’ordre du jour de la réunion du CSE et/ou du CSEC.

Ces délais sont exprimés en jours calendaires.

-Les délais de transmission de l’ordre du jour.  Les délais prévus aux articles L.2315-30 et L.2316-17 du Code du travail sont écartés temporairement pour les consultations entrant dans le champ d’application des textes dérogatoires.

Concernant la transmission de l’ordre du jour aux membres du CSE : le délai passe de 3 à 2 jours au moins avant la réunion.

Pour la transmission de l’ordre du jour au CSEC : le délai passe de 8 à 3 jours au moins avant la réunion.

Ces dispositions s’appliquent à compter du 3 mai 2020 et jusqu’au 23 août 2020.

 

-Les délais d’information-consultation. Les délais habituellement applicables sont modifiés comme suit.

Le délai de consultation en l'absence d'intervention d'un expert est de 8 jours (au lieu d’1 mois). Le délai de consultation en cas d'intervention d'un expert est de 12 jours pour le CSEC, 11 jours pour le CSE.

Le délai de consultation en cas d'intervention d'une ou de plusieurs expertises dans le cadre de consultation se déroulant à la fois au niveau central et d'un ou plusieurs comités d'établissement est de 12 jours.

Le délai minimal entre la transmission de l'avis de chaque comité d'établissement au comité central et la date à laquelle ce dernier est réputé avoir été consulté et avoir rendu un avis négatif est d’1 jour.

Ces dispositions s’appliquent aux délais qui commencent à courir à compter de la date de publication du décret (3 mai 2020).

Selon la lettre de l’ordonnance, ils peuvent aussi s’appliquer lorsque les délais qui ont commencé à courir antérieurement à cette date ne sont pas encore échus, si l'employeur interrompt la procédure en cours et engage une nouvelle procédure de consultation.

Cette faculté pour l’employeur est problématique et source d’incertitudes.

La possibilité, pour l’employeur, d’interrompre les procédures en cours pour engager la consultation sur la base des règles fixées par ces textes semble contradictoire avec l’objectif affiché par ceux-ci, à savoir de ne viser que les IC qui ont pour « objectif de faire face aux conséquences économiques, financières et sociales de la propagation de l'épidémie de Covid-19 ». Comment ces IC peuvent-elles répondre à cet objectif précis si à l’origine, elles ont été engagées bien avant l’adoption du texte, et même le début du confinement ? Une réorganisation sans PSE mais avec quelques suppressions d’emplois et/ou conséquences sur les conditions de travail engagée février par exemple…

Le juge devra-t-il départager entre les consultations pouvant être interrompues pour rentrer dans le texte dérogatoire et les autres, manifestement sans rapport ?

Cette faculté ouverte à l’employeur a malheureusement des contours assez incertains...

 

-Les délais propres aux expertises et à la transmission des informations. Le délai dont dispose l'expert, à compter de sa désignation, pour demander à l'employeur toutes les informations complémentaires qu'il juge nécessaires à la réalisation de sa mission est ramené à 24 h. L’employeur doit lui aussi répondre en 24 h.

Le délai dont dispose l'expert pour notifier à l'employeur le coût prévisionnel, l'étendue et la durée d'expertise est de 48 h. Et le délai dont dispose l'employeur pour saisir le juge pour chacun des cas de recours (sur la nécessité de l’expertise, la désignation de l’expert, le coût prévisionnel, l’étendue de l’expertise) est le même (= 48 h).

Enfin, le délai minimal entre la remise du rapport par l'expert et l'expiration des délais de consultation est de 24 h.

 

De manière générale, on peut douter dans certains cas de l'effet utile de la consultation (en particulier lorsqu’il y a beaucoup d’établissements avec des caractéristiques différentes), ainsi que de l'effectivité du recours à l'expert, ou du moins de la capacité pour celui-ci de remplir sa mission. L’objectif de préservation de la santé des travailleurs pourrait ainsi être malmené, en particulier lorsque les organisations du travail seront profondément modifiées et que certains devront faire face à un rythme de travail tendu pour rattraper les pertes du début d’année.

Heureusement, ces textes n’ont qu’une durée de vie limitée, puisqu’ils ne sont applicables qu’aux consultations engagées entre le 3 mai et et le 23 août !

Dès le 24 août 2020 en effet, l'ensemble des consultations des IRP et des modalités de recours à l’expertise se feront à nouveau dans les conditions antérieures.

 

  • L.2315-92 C.trav.
  • R.2312-5 C.trav