CSE : délais préfix d’information-consultation, fin de la saga

Publié le 17/06/2020

Juste avant que l’actualité covidienne ne nous sidère jour après jour, la Cour de cassation a rendu un important arrêt à propos des délais d’information-consultation. Dans une décision du 26 février, assortie de toutes les publicités accompagnant les arrêts à retenir, la Haute juridiction a considéré que dès lors que le juge est saisi d’une demande portant sur l’insuffisance des informations fournies par l’employeur avant l’expiration des délais, le juge peut les prolonger s’il estime la demande fondée, et ce quelle que soit la date à laquelle il se prononce. La Cour de cassation vient de rappeler cette solution dans un autre arrêt publié. Cass.soc.26.02.20, n°18-22759 et Cass.soc.27.05.20, n°18-26483.

  • Le juge peut proroger les délais, quelle que soit la date à laquelle il se prononce

Dans la décision du 26 février, la Cour de cassation a fait preuve d’une certaine audace pour donner toute son effectivité au droit d’être informé et consulté, ce qu’il convient de saluer.

  • Les faits sont relativement simples.

Début mai 2016, EDF convoque son CCE pour le consulter sur un projet de création de 2 EPR. Ayant désigné des experts, le CCE réclame des informations complémentaires dès la deuxième réunion. Fin juin (avant que le délai de consultation n’ait expiré), le CCE saisit le tribunal de grande instance (TGI) d’une demande de suspension de la procédure jusqu’à la communication par l’employeur des documents complémentaires.Le TGI déclare la demande irrecevable au motif que le délai de consultation était d’ores et déjà expiré au jour où il s’est prononcé. En appel en revanche, les juges du fond ordonnent à l’employeur de remettre les informations complémentaires et de convoquer à nouveau le CCE dans un délai de 2 mois. Ainsi donc les juges d’appel considèrent-ils quant à eux qu’ils sont en droit de proroger le délai de consultation.

La loi du 14 juin 2013 (1) a instauré le principe de délais de consultation dits « préfix ». Si, dans ces délais (fixés par accord ou, à défaut, par l’article R.2323-1-1 du Code du travail), le CSE n’a pas rendu son avis, il est réputé avoir rendu un avis négatif. Lorsque les élus estiment que l’information fournie est insuffisante, ils peuvent saisir le juge statuant en la forme des référés afin qu’il ordonne la communication des éléments manquants. Ce dernier doit, en théorie, statuer dans un délai de 8 jours. L’article L.2323-4 du Code du travail précise que la saisine du juge « n’a pas pour effet de prolonger le délai dont dispose le comité pour rendre son avis ».

Un pourvoi en Cassation est formé, que la Cour de cassation rejette dans un arrêt accompagné d’une grande publicité et d’une notice explicative.

  • La solution retenue par la Cour de cassation

Contredisant en cela une décision du Conseil constitutionnel (2 ) qui avait fi de l’ineffectivité du droit de saisir le juge d’une demande d’informations complémentaires lorsque celui-ci se prononçait après l’expiration des délais, la Haute juridiction rejette le pourvoi et admet le droit du juge de proroger les délais, y compris s’il statue alors que ceux-ci ont expiré.

Dans sa décision, le Conseil constitutionnel avait en effet fait prévaloir la lettre de la loi sur son esprit et la nécessité pour les élus de rendre un avis éclairé. A gros traits, le fait que les élus n’aient pu disposer des informations suffisantes en raison de l’expiration du délai au moment où le juge se prononce, et ce bien qu’ils aient saisi le juge avant l’expiration de celui-ci, n’est, selon les Sages, contraire ni au principe de participation, ni au droit à un recours effectif.

Toutefois, la question était posée sous l’angle de la constitutionnalité de la loi, alors qu’elle l’est ici sous celui  de son interprétation.

La Haute juridiction fait preuve d’esprit pratique et propose une interprétation qui permet de rendre effectif le droit des élus de saisir le juge d’une demande d’informations complémentaires. Elle estime que « la saisine du président du tribunal de grande instance (…) permet au juge (…) d’ordonner la production des éléments d’information complémentaires et, en conséquence de prolonger ou de fixer le délai de consultation tel que prévu à l’article R. 2323-1-1 du Code du travail à compter de la communication de ces éléments complémentaires. »

La Cour de cassation prend appui sur la directive du 11 mars 2002 établissant un cadre général relatif à l‘information et la consultation des travailleurs (2002/14/ CE) pour interpréter l’article L.2323-4 du Code du travail, dont dépend la solution du litige et le droit des élus de pouvoir effectuer un recours utile lorsque les informations fournies ne leur permettent pas de rendre un avis éclairé. Cette directive prévoit en son article 4§3 un droit à une information appropriée. De plus, aux termes des paragraphes 1 et 2 de son article 8, les Etats membres doivent prévoir des mesures appropriées en cas de non-respect de la directive par les employeurs et les représentants, en particulier des sanctions adéquates qui doivent être effectives, proportionnées et dissuasives.

Dans sa notice explicative, la Cour distingue deux situations.

- Si la demande est considérée comme infondée par le juge, les délais expirent à la date initialement prévue.

- Si, en revanche, la demande d’informations complémentaires est jugée fondée, le juge peut prononcer la prorogation du délai, quelle que soit la date à laquelle celui-ci statue.

Cette décision est dans la veine des décisions antérieures de la Cour de cassation estimant que les délais ne commencent à courir qu’à compter de la remise des informations. Dans une décision du 21 septembre 2016 portant sur un projet, elle a en effet considéré que le délai qu’ont les élus pour rendre leur avis ne court qu’à compter de la date à laquelle ces derniers ont disposé des informations leur permettant d’apprécier l’importance de l’opération envisagée (3), tandis que dans une décision du 28 mars 2018, elle a estimé que le délai ne peut courir lorsque certains documents prévus par la loi ou l’accord collectif n’ont pas été mis à disposition du comité (4). Ainsi par exemple de la mise à disposition des informations devant figurer dans la BDES...

Reste que la saisine du juge doit quant à elle être formée dans les délais comme le rappelle un arrêt plus récent, lui aussi publié.

  • Les délais préfix ne peuvent être prorogés si le juge est saisi après leur expiration

Si le juge a donc bien la possibilité de proroger les délais pour une demande de communication d’informations qu’il estime fondée, encore faut-il que le CSE l’ait saisi avant l’expiration du délai dont il dispose pour rendre son avis.

La Haute juridiction l’avait déjà dit dans l’arrêt du 26 février et c’est ce qu’elle rappelle dans l’arrêt rendu le 27 mai dernier.

Saisie par un CSE qui prétend que le délai qu’ont les élus pour rendre leur avis ne commence à courir qu’à compter de la communication des informations alors qu’il a saisi le juge après l’expiration de ce délai, la Cour de cassation rejette le pourvoi.

En conclusion, peu importe la date à laquelle le juge se prononce. La possibilité de proroger le délai dépend en réalité du bien-fondé de la demande d’informations et de la saisine du juge avant l’expiration du délai. Ce qui permet d’écarter les procédures dilatoires, en adéquation avec l’objectif de la loi de 2013.

 

(1) n°2013-504.

(2) QPC n°2017-652 du 4 août 2017, Markem Imaje.

(3) Cass.soc.21.09.16, n°15-19003.

(4) Cass.soc.28.03.18, n°17-13081.