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Covid-19 : (encore) de nouvelles règles de fonctionnement pour les conseils de prud’hommes !

Publié le 03/06/2020

Dès le 25 mars 2020, une ordonnance est venue fixer les règles de fonctionnement dérogatoire auxquelles seraient soumis justiciables et tribunaux tout au long de l’état d’urgence sanitaire (1) ; l’essentiel résidant en l’allégement d’un certain nombre de garanties procédurales… Mais ce n’est pas tout puisque, le 20 mai dernier, une nouvelle ordonnance a été prise sur le même sujet par le Gouvernement.

Pour compléter et affiner ce qui a été mis en place le 25 mars, mais aussi pour acter de la mise en place de nouvelles dispositions. Certes, ces ordonnances sont provisoires, mais elles se trouvent être peu respectueuses des spécificités de la justice du travail en France pour deux d’entre elles. Ordonnance n° 2020-595 modifiant l'ordonnance n° 2020-304 du 25 mars 2020 portant adaptation des règles applicables aux juridictions de l'ordre judiciaire statuant en matière non pénale et aux contrats de syndic de copropriété du 20 mai 2020.

Des mesures dérogatoires en matière de fonctionnement de la justice sont en application depuis le 12 mars 2020. Elles le demeureront jusqu’à l'expiration d'un délai d'1 mois à compter de la date de cessation de l'état d'urgence sanitaire, soit jusqu’au 10 août 2020.

Le 20 mai dernier, ces mesures ont été partiellement modifiées et complétées, voici comment.  

 

(1) Ordonnance n° 2020-304 du 25.03.20 portant adaptation des règles applicables aux juridictions de l'ordre judiciaire statuant en matière non pénale et aux contrats de syndic de copropriété.

  • Le maintien en l’état de certaines des dispositions mises en place le 25 mars 2020

-S’agissant des conseils de prud’hommes, la plupart des dispositions prises le 25 mars 2020 continuent d’être applicables et ne sont pas impactées par l’ordonnance du 20 mai. Ainsi, par exemple :

- de la capacité donnée aux premiers présidents de cour d’appel pour décider du transfert de dossiers d’un conseil de prud’hommes défaillant vers un autre conseil de prud’hommes du même ressort ;

- de l’obligation d’avertir les justiciables en cas de suppression d’une audience par tout moyen, y compris électronique, pour les avocats ou pour ceux qui ont consenti à la réception des actes sur le « Portail du justiciable » ou par lettre simple pour les autres ;

- du recours dérogatoire à un juge unique ou, s’agissant des conseils de prud’hommes, du recours de droit à un bureau de jugement restreint composé d’un juge employeur et d’un juge salarié.

 

Le 25 mars de cette année, le recours au bureau de jugement restreint tel qu’introduit dans le corpus des textes dérogatoires avait déjà été présenté comme étant de droit. Un mois plus tard, une circulaire du Directeur des services judiciaires était pourtant venue prendre le contrepied d’une telle orientation en précisant que, pour advenir, le recours au bureau de jugement en formation restreinte devait être décidée par le « président de la juridiction » (1). L’ordonnance du 20 mai semble venir rappeler que c’est l’option du recours de droit au bureau de jugement restreint qui est à retenir pour l’ensemble des « affaires dans lesquelles l'audience de plaidoirie ou la mise en délibéré de l'affaire dans le cadre de la procédure sans audience a lieu » entre le 12 mars 2020 et le 10 août 2020. A notre connaissance, le Directeur du service judicaire n’a pas fait paraître de nouvelle circulaire depuis.

 

  • La précision et/ou la modification de certaines des dispositions mises en place le 25 mars 2020

S’agissant des conseils de prud’hommes, la plupart des dispositions prises le 25 mars 2020 continuent d’être applicables, sous couvert de quelques modifications et/ou adaptations. Ainsi, par exemple :

- de la tenue des débats en publicité restreinte ou en chambre du conseil (c’est-à-dire à huis clos) qui peut toujours être décidée par le président de la juridiction. Disposition qui se trouve désormais ainsi complétée : « les chefs de juridiction définissent les conditions d'accès à la juridiction, aux salles d'audience et aux services qui accueillent du public permettant d'assurer le respect des règles sanitaires en vigueur » ;

- du recours à une audience ou une audition en visioconférence ou à défaut, en conférence téléphonique, pouvant être décidée par le président de la formation de jugement dès lors que le contrôle de l'identité des personnes est assuré et que la qualité de la transmission et la confidentialité des échanges sont garantis. L’ordonnance du 20 mai 2020 conserve une telle possibilité, tout en précisant que les différents acteurs de l’audience (membres de la formation de jugement, greffier, parties, les avocats et défenseurs syndicaux, techniciens et auxiliaires de justice, personnes convoquées à l'audience ou à l'audition) peuvent se trouver dans des lieux distincts et que les moyens de communication utilisés par les membres de la formation de jugement doivent garantir le secret du délibéré ;

- du recours à une procédure sans audience, lorsque l’assistance ou la représentation par avocat est obligatoire ou que les parties sont chacune d’entre elles assistées ou représentées par un avocat. Le tout sans possibilité d’opposition des parties en cas de référé, de procédure accélérée au fond (PAF) ou de procédures encadrées par des délais contraints de rendu de jugement. L’ordonnance du 20 mai 2020 conserve une telle possibilité, tout en précisant que le recours à ce type de procédure peut se faire « à tout moment de la procédure ».

 

  • L’introduction de dispositions nouvelles

S’agissant des conseils de prud’hommes, deux dispositions totalement inédites et particulièrement inquiétantes méritent d’être signalées.

  1. Le recours au départage sans renvoi à une formation de départage : l’ordonnance du 20 mai 2020 introduit en effet une disposition qui précise qu’en cas de partage des voix au sein du bureau de jugement restreint, l'affaire est renvoyée directement devant un juge du tribunal judiciaire (!) qui statue après avoir simplement recueilli l'avis des conseillers présents lors de l'audience de renvoi en départage.

Seul élément rassurant dans le paysage, le texte nouveau précise que, si au 10 août 2020, le juge du tribunal judiciaire n'a pas encore tenu l'audience de départage, l'affaire est renvoyée devant une formation de départage de droit commun. Ce qui semble mettre en exergue le caractère temporaire de la mesure.

Pour la première fois, des textes précisent que la décision de départage est prise par un juge professionnel seul (après recueil de l’avis des conseillers présents lors de l’audience de départage), et non par une formation de départage composée d’un juge professionnel et des conseillers prud’hommes n’ayant pu se départager. Ce précédent a vraiment de quoi inquiéter, car au final, on peut tout de même se demander en quoi la situation sanitaire était de nature à empêcher la tenue de formation de départage composées de 3 juges soumis au respect des gestes barrières. Surtout à un moment - le 20 mai 2020 - où nous apprêtions à entrer en phase 2 du déconfinement !

La CFDT s’étonne d’un tel choix gouvernemental. Elle sera particulièrement vigilante à ce que ce type de mesure ne se trouve pas, par la suite, pérennisé.

  1. Le caractère facultatif du passage des dossiers en bureau de conciliation (et d’orientation) : l’ordonnance du 20 mai 2020 introduit une disposition qui précise que lorsque, 3 mois après la saisine du conseil de prud'hommes, l'audience du bureau de conciliation et d’orientation n'a pas encore eu lieu (ou qu’un procès-verbal de conciliation n’a pas été signé ou qu’une ordonnance n'a pas été prise), l'affaire est alors renvoyée directement devant le bureau de jugement « approprié au règlement de l'affaire à une date que le greffe indique aux parties par tout moyen ».

 

Cette disposition a pour conséquence de rendre facultative la tenue du Bureau de conciliation et d’orientation pour tous les dossiers dans tous les conseils de prud’hommes jusqu’au 10 août 2020. En effet, le traitement des affaires au fond a été partout suspendu entre mars et mai. Les conseils de prud’hommes qui ont pu assurer une forme de continuation de leur activité n’ont pu tenir que des audiences de référé. La reprise des procédures sur le fond, quand elle a lieu, concerne donc, dans le meilleur des cas, des saisines qui ont été réalisées en janvier/février 2020. Aussi, dès lors que des bureaux de conciliation et d’orientation recommenceraient à être convoqués en juin, de facto, c’est bien l’ensemble des dossiers traités qui connaitraient d’une saisie de plus de 3 mois. Il est ici pour le moins contradictoire qu’une autre ordonnance(2) soit venue suspendre un certain nombre de délais pendant la période d’état d’urgence sanitaire tandis que celle-ci ne fait rien d’autre que se saisir opportunément de l’impossibilité à fonctionner dans laquelle se sont trouvés les conseils de prud’hommes pour supprimer (quasi-automatiquement) le passage des dossiers en conciliation.

Là encore, la CFDT s’étonne d’un tel choix gouvernemental. Et là encore, elle sera particulièrement vigilante à ce que ce type de mesure ne se trouve pas, par la suite, pérennisé.

 

(1) Circ. CIV/02/20, C3/DP/202030000319/FC du 26.04.20.

(2) Ordonnance n° 2020-306 du 25.03.20.