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CSE : sa mise en place au niveau de l’établissement doit (impérativement) être négociée !

Publié le 30/04/2019

Dans les entreprises d’une certaine taille, il se peut que le CSE soit mis en place, non pas au niveau de l’entreprise, mais au niveau de ses établissements. Il convient alors de retenir le niveau le plus pertinent et, pour ce faire, le passage par la négociation collective doit être vu comme incontournable. Ce n’est en effet qu’en cas d’échec de négociations sincèrement et loyalement menées sur cette question que l’employeur sera finalement habilité à décider seul. Voilà en substance ce que la Cour de cassation est venue préciser dans un important arrêt rendu courant avril. Cass. soc. n° 18-22.948 du 17.04.2019

  • Le cadre légal et réglementaire relatif à la mise en place du CSE

A la lecture des textes légaux et réglementaires applicables, deux points méritent d’être relevés :

1er point :  la possible mise en place du CSE au niveau de l’établissement distinct

Le CSE est normalement mis en place au niveau de l’entreprise(1). Mais, dès lors que celle-ci emploie au moins 50 salariés et qu’elle est constituée d’au moins deux établissements distincts, il peut également être mis en place au niveau de chacun de ces établissements(2).

2ème point : la façon selon laquelle l’établissement distinct peut être reconnu

Le Code du travail donne priorité à l’accord collectif puisqu’il précise expressément que :

- Lorsqu’un délégué syndical est présent dans l’entreprise, c’est à un accord d’entreprise majoritaire (sans rattrapage possible par voie de référendum) qu’il revient de « déterminer le nombre et le périmètre des établissements distincts »(3) ;

- En l’absence de délégué syndical, la négociation demeure possible puisqu’un accord employeur / CSE peut alors très bien s’en charger, dès lors qu’il est conclu « à la majorité des membres titulaires élus de la délégation de personnel du comité »(4).

Mais ce même Code précise aussi qu’ « en l’absence » de l’un ou de l’autre de ces accords, l’employeur peut très bien décider seul. Et s’il est amené à le faire, il doit par la suite porter à la connaissance « de chaque organisation syndicale représentative dans l’entreprise et de chaque organisation syndicale ayant constitué une section syndicale dans l’entreprise » la décision qu’il a unilatéralement prise et ce, par « par tout moyen permettant de conférer date certaine à cette information »(5).

Ces dernières organisations disposent alors d’un délai de 15 jours pour contester devant la Direccte la décision prise par l’employeur.

Lorsque, du fait de l’absence de délégué syndical dans l’entreprise, la négociation a due être menée avec le CSE et que celle-ci échouée, l’employeur doit alors réunir ce comité « afin de l’informer de sa décision »(6)

  • Les faits à l’origine de l’affaire

Le 2 janvier 2018, la société Omnitrans lance le processus électoral et invite les organisations syndicales intéressées à négocier le protocole d’accord préélectoral (PAP) avec, en perspective, la mise en place d’un CSE « unique » au niveau de l’entreprise.

Oui mais voilà, il se trouve que cette entreprise est composée de plusieurs établissements au sein desquels la mise en place de CSE d’établissement aurait très bien pu être envisagée. En conséquence de quoi, les organisations syndicales qui répondront à l’invitation de l’employeur (CFDT routes, CGT transports et Fédération nationale des chauffeurs routiers -FNCR-) refuseront toutes de négocier le PAP tant que le nombre et le périmètre des établissements distincts susceptibles d’accueillir un CSE n’auront pas été négociés au préalable.

Peu encline au dialogue et sûre de son fait, la société Omnitrans passera outre cette demande de négociation sur le niveau de mise en place du (des) CSE. Elle se contentera simplement de prendre acte de ce refus syndical de négocier le PAP tout en faisant en sorte que la procédure électorale suive son cours. Pour y parvenir, elle se tournera vers la Direccte afin qu’il soit décidé de la répartition des sièges à pourvoir et des salariés électeurs au sein des différents collèges (répartition qui n’avait pu être opérée du fait du « refus » des organisations syndicales d’entrer en négociation du PAP).

Ce que fit la Direccte le 30 mars 2018.

Mais le rendu de cette décision administrative était-elle pour autant de nature à faire taire toute forme de contestation syndicale quant au caractère « unique » du CSE à mettre en place ? Point du tout ! Même si c’est bien ce que l’employeur a tenté de faire croire en poursuivant « comme si de rien n’était » l’organisation du processus électoral et en maintenant la tenue du 1er tour de scrutin à la date initialement fixée, à savoir le 27 avril 2018.

Mais une semaine après que la Direccte eut décidée de la répartition des salariés et des sièges au sein des différents collèges, ce fût au tour des organisations syndicales d’interpeller l’administration du travail afin de lui demander d’enjoindre l’employeur à négocier le nombre et le périmètre des établissements distincts.

Ce que la Direccte fit le 29 avril 2018 … soit deux jours après que le 1er tour de scrutin des élections au CSE se soit tenu.

Conscient de la fragilité juridique que cette dernière décision était susceptible de faire peser sur la validité du scrutin du 27 avril 2018, la société Omnitrans décida de saisir le juge d’instance afin de requérir devant lui son annulation.

Mais cette demande ne prospérera pas … Et la justice (le tribunal d’instance de Lyon le 7 septembre 2018 puis la Cour de cassation le 17 avril 2019) viendra confirmer le caractère impératif du passage à la négociation relative à la reconnaissance (ou non) d’établissements distincts tel que la Direccte l’avait initialement reconnu.

Sur le plan technique, il y a à notre sens quatre enseignements essentiels à tirer de la décision rendue par la Cour de cassation.  

  • 1er enseignement : la décision unilatérale prise par l’employeur sur le niveau auquel les élections CSE ont à être organisées doit impérativement être donnée aux organisations syndicales avant que le processus électoral ne soit lancé  

En l’espèce, la société Omnitrans affirmait que, conformément aux textes légaux et réglementaires, elle avait fait part de sa décision aux organisations syndicales représentatives présentes dans l’entreprise et aux organisations syndicales y ayant constitué une section syndicale dès le 22 janvier 2018 … et que, dans les 15 jours qui avaient suivis, aucune de ces dernières n’avait saisi la Direccte pour la contester.

La Direccte n’avait en effet été saisi que le 7 avril 2018 (et donc bien au-delà des 15 jours). Aussi, des dires de la société Omnitrans, les organisations syndicales devaient être considérées comme forclos.

En justice, l’argument ne prospérera pourtant pas : le délai de prescription n’avait en fait tout simplement jamais commencé à courir. Pourquoi cela ? Parce que la décision patronale « en matière de fixation du nombre et du périmètre des établissements distincts » doit faire l’objet d’une « information spécifique et préalable à l’organisation des élections professionnelles au sein des établissements ainsi définis ». Or, ici, le processus électoral avait été lancé le 2 janvier 2018 tandis que l’information sur la décision patronale « en matière de fixation du nombre et du périmètre des établissements distincts » n’avait été transmise aux organisations syndicales que le 22 janvier 2018 … Trop tardive, elle était donc irrégulière. Et du fait même de cette irrégularité, le délai de contestation de 15 jours n’avait pas commencé à courir. 

  • 2ème enseignement : la négociation collective est à proprement parler incontournable

Comme nous l’avons vu plus haut, l’employeur n’est habilité à décider seul de la reconnaissance (ou non) d’établissements distincts qu’en l’absence d’un accord d’entreprise majoritaire (ou à défaut d’un accord passé avec le CSE).

Mais cette absence d’accord doit-elle nécessairement être le fruit d’une négociation engagée qui n’a pas abouti (voir d’un refus de négocier émanant des organisations syndicales représentatives dans l’entreprise) ou est-ce que l’employeur demeure finalement libre d’engager (ou non) une négociation ?

C’est bien à cette question de fond que le tribunal d’instance de Lyon puis la Cour de cassation sont venues répondre.

Le tribunal d’instance de Lyon est d’abord venu préciser que « seul le refus d’entrée en négociation de la partie salariée, de désaccord manifeste ou l’absence de signature d’un accord à l’issue du délai de négociation formalisé ab initio autorise à adopter une décision unilatérale ». Cette appréciation déclenchera l’ire de la partie employeur qui, dans son pourvoi, protestera vivement contre le fait que, selon elle, les juges avaient ici « ajouté à la loi une condition qu’elle ne comporte pas ».

Cette objection patronale sera cependant clairement écartée par la Cour de cassation, celle-ci considérant que la négociation devait être vue comme une « subsidiarité » et non comme une simple « alternative ». Dit autrement, l’absence d’accord collectif d’entreprise ouvrant droit pour l’employeur de décider seul de l’existence (ou non) d’établissements distincts ne pouvait aucunement résulter d’un choix assumé de l’employeur de ne pas négocier mais seulement d’une tentative infructueuse de négociation !

En conséquence de quoi, et -rappelons-le- préalablement à l’engagement du processus électoral, l’employeur aurait dû négocier le niveau de mise en place (ou des) CSE. Ce qu’il n’avait manifestement pas fait.

Une telle obligation vaut à l’évidence, comme en l’espèce, en présence dans l’entreprise de délégués syndicaux mais, à notre sens, elle vaut également en cas de d’absence de délégués syndicaux et de présence d’un CSE.

Conséquences pratiques. Par-delà ce cas d’espèce, cela nous interroger sur la portée que cet arrêt est susceptible d’avoir car, dans nombre d’entreprises, 2019 est l’année de passage au CSE. Or, à cette occasion, les difficultés de non-reconduction d’établissements distincts antérieurement reconnus sous l’empire des comités d’entreprise sont légions. Cette position de la Cour de cassation ne doit donc surtout pas échapper aux équipes CFDT dans le sens où elle est, pour partie, l’antidote à la tentation patronale du passage en force. Ce d’autant plus que, comme nous le verrons ci-après, des élections qui auraient été organisées à un niveau (entreprise ou établissements) sans avoir été précédées d’une tentative de négociation quant au niveau de mise en place du CSE pourraient très bien, par la suite, faire l’objet d’une annulation !!

  • 3ème enseignement : la négociation collective doit être menée de bonne foi

La Cour de cassation vient expressément préciser que la tentative de négociation doit être menée de manière sincère et loyale. Il ne peut donc en aucun cas s’agir d’une formalité rapidement expédiée et simplement destinée à rendre possible l’avènement d’une décision unilatérale de l’employeur.

Dit autrement, la recherche d’une solution négociée doit donc être réelle.

  • 4ème enseignement : les élections organisées en l’absence de négociation préalable sur les établissements distincts sont susceptibles d’être annulée

Dans cette affaire, la société Omnitrans estimait que les élections au CSE avaient finalement bien été organisées (s’agissant du 1er tour de scrutin, deux jours d’ailleurs avant que la Direccte ne se prononce) et que, n’ayant pas été contestées dans un délai de 15 jours, elles devaient être considérées comme « purgées de tout vice ». Aussi partait-elle du principe que, par une sorte d’effet domino, cette non-contestation des élections avait fait perdre tout fondement juridique au contentieux relatif au niveau de mise en place du (des) CSE.

Et afin d’étayer sa position, la partie employeur s’appuyait sur le fait que, dans un tel contexte, la Cour de cassation réservait traditionnellement un sort de cette nature aux contentieux préélectoraux(7).

Mais là encore, la Cour de cassation ne retint pas l’argument. Et pour ce faire, elle commencera par confirmer la position qu’elle avait déjà esquissé plus haut ; à savoir que « la contestation du périmètre des élections » ne relève désormais plus du champ de la contestation préélectorale mais de celui d’un droit autonome à la négociation collective. Mais elle ne s’arrêtera pas là dans son raisonnement. Elle rappellera aussi ce que le Code du travail précise lui-même : lorsque le Direccte est saisi « sur la détermination du nombre et du périmètre des établissements distincts, le processus électoral est suspendu jusqu’à la décision administrative et entraîne la prorogation des mandats en cours jusqu’à la proclamation des résultats »(8).   

Or, ici, la Cour de cassation constate que les élections au CSE avaient été organisées alors même que la Direccte était saisie d’une contestation « sur le nombre et le périmètre des établissements distincts » et que cette dernière s’était bornée à rappeler à l’employeur l’obligation qui lui incombait d’ouvrir des négociations sur ce point.

En conséquence, les élections au CSE telles qu’elles avaient été organisées pouvaient encore faire d’objet d’un recours en annulation ; le délai de prescription de 15 jours n’ayant pas encore commencé à courir. Et, pour la Cour de cassation, tel ne sera pas le cas tant que la Direccte n’aura pas été conduite (à défaut d’accord) à procéder à la détermination du nombre et du périmètre des établissements distincts.

 



(1) Art. L. 2313-1 al. 1er C. trav.

(2) Art. L. 2313-1 al. 2 C. trav.

(3) Art. L. 2313-2 C. trav.

(4) Art. L. 2313-3 C. trav.

(5) Art. R. 2313-1 C. trav.

(6) Art. R. 2313-2 C. trav.

(7) Cass. soc. 04.07.18, n° 17-21.100.

(8) Art. L. 2313-5 al. 1er C. trav.