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Maternité : la protection ne s’applique pas en l’absence d’autorisation de travail !

Publié le 29/03/2017

C'est la double peine pour la salariée enceinte qui, en "perdant" son autorisation de travail, se voit également privée de la  protection limitant ou interdisant son licenciement. En effet, la Cour de cassation vient de juger que les dispositions liées au travail irrégulier (qui interdisent à l’employeur d’employer ou de conserver une salariée sans autorisation de travail) sont d’ordre public, de telle sorte qu’elles font obstacle à l’application des règles protectrices liées à la grossesse et la maternité. Une position de la Haute Cour difficilement entendable, malgré les efforts de justification sur le plan juridique. Cass.soc.15.03.17, n°15-27.928.

  • Rappel des règles

Deux types de normes sont en confrontation dans ce contentieux.

- Les dispositions  protégeant la salariée enceinte

L’article L.1225-4 du Code du travail prévoit une protection spéciale de la salariée limitant ou interdisant le licenciement qui couvre toute sa grossesse, la durée de son congé maternité et même au-delà du retour de congé maternité.

La protection est dite «relative» durant la période pré et post congé maternité. C’est-à-dire qu’il est possible de licencier la salariée seulement dans deux hypothèses :

-          en cas de licenciement pour faute grave non liée à son état de grossesse ;

-          en cas d’impossibilité de maintenir son contrat pour un motif étranger à la grossesse ou à l’accouchement. Il appartient alors à l’employeur de rapporter la preuve des motifs de licenciement.

Durant la période du congé maternité, la protection est dite cette fois-ci «absolue». Cela signifie qu'il est strictement interdit de licencier la salariée. Toute prise d’effet ou notification de la rupture, et même la mise en œuvre des mesures préparatoires à une telle décision sont interdites et ce, quel que soit le motif de licenciement

 

La loi Travail a d’ailleurs renforcé sa législation en la matière, en allongeant la protection relative à l’issue du congé maternité (10 semaines au lieu de 4 semaines auparavant) et en étendant la protection absolue à la période des congés payés si ces derniers sont pris dans la foulée du congé maternité.

- Les dispositions interdisant le travail illégal

L’article L. 8251-1 du Code du travail prévoit que «nul ne peut, directement ou indirectement, embaucher, conserver à son service ou employer pour quelque durée que ce soit un étranger non muni du titre l’autorisant à exercer une activité salariée en France». A défaut de respecter cette disposition, l’employeur encourt une peine maximum de 5 ans de prison et de 15 000 euros d’amende (75 000 euros pour les personnes morales) (1).

  • Faits, procédure

Dans cette affaire, une auxiliaire parentale est embauchée avec une carte de séjour temporaire de vie privée et familiale et une autorisation de travail expirant le 31 octobre 2010.  Le 26 avril 2011, l’autorité administrative prévient l’employeur que l’autorisation de travail de la salariée n’a pas été renouvelée et qu’elle ne peut donc plus travailler en France. L‘employeur la convoque alors à un entretien préalable le 2 mai 2011 puis, le 9 mai 2011, cette dernière l’informe de son état de grossesse (2). Malgré cette annonce, l’employeur licencie la salariée le 20 juin 2011 au motif de la perte de son autorisation de travail.

Elle décide alors de réclamer l’annulation de son licenciement au motif qu’elle doit bénéficier des règles protectrices attachées à son statut de femme enceinte.

Pour la salariée, son embauche est régulière, aussi la perte de son autorisation de travail ne doit-elle pas la priver de sa protection. 

Par ailleurs, cela va dans le sens des règles protectrices issues de l’Union européenne relatives à la mise en œuvre des mesures visant à promouvoir l’amélioration de la sécurité et de la santé des travailleuses enceintes, accouchées ou allaitantes au travail (3). 

Enfin, si la loi prévoit qu’un licenciement peut avoir lieu durant la période de la protection relative, c’est à la condition que le contrat soit impossible à maintenir. Or en l’espèce,  le contrat a continué de courir quelques jours après que  l’employeur ait été informé par la préfecture. Il n’y avait donc pas impossibilité de maintenir le contrat.

Les juges du fond ne lui donnant pas raison, la salariée décide de former un recours devant la Cour de cassation. La Haute Cour doit donc trancher entre deux normes : d'une part celle relative au travail illégal, qui oblige à la rupture du contrat de travail et d'autre part celle relative à la protection de la femme enceinte, qui limite ou interdit le licenciement. l’interdiction d’employer une salariée sans autorisation de travail l’emporte-T-elle sur les règles protectrices liées à la maternité ?

  • L’interdiction d’employer une salariée sans titre de travail est d’ordre public

La Haute Cour balaye d’un revers de mains les moyens soulevés par la salariée en posant, dans son arrêt, le principe selon lequel "les dispositions d'odre public de l’article L.8251-1 du Code du travail s'imposant à l’employeur qui ne peut, directement ou indirectement, conserver à son service ou employer pour quelque durée que ce soit un étranger non muni du titre l’autorisant à exercer une activité salariée en France, une salariée dans une telle situation ne saurait bénéficier des dispositions légales protectrices de la femme enceinte interdisant ou limitant les cas de licenciement".

  • Application stricte  et sans mesure de la jurisprudence relative aux salariés protégés

Dans sa note explicative, la Haute Cour justifie sa décision au regard de sa jurisprudence relative aux salariés protégés et la transpose à notre affaire sans établir de distinction entre la protection liée à la grossesse et celle liée à un mandat. Alors pourtant qu'il est ici question de de la sécurité et de la santé de la salariée ! 

La Cour de cassation (4) avait en effet déjà jugé que les règles de protection s’attachant au mandat du représentant du personnel ne s’appliquent pas au salarié qui ne dispose pas - ou plus - de titre l’autorisant à travailler en France. De là,  la Cour de cassation justifie sa position : «la protection de la femme enceinte, qu’elle soit relative ou absolue, cède devant l’interdiction d’ordre public, assortie de sanctions civiles et pénales, d’employer ou de conserver à son service un salarié dans une telle situation». Il faut noter en outre que la Haute Cour, ne fait pas plus de distinction entre la protection relative et absolue.

Par ailleurs, la Cour de cassation ajoute que sa décision est conforme au droit de l’Union européenne, qui «prévoit la possibilité de licencier une salariée enceinte pour un motif non lié à la grossesse». La solution de la Haute Cour «fait prévaloir les dispositions de police des étrangers qui sont préalables à l’application d’une protection supposant un contrat de travail». 

  •  La protection de la salariée enceinte relayée au second plan

C’est la double peine pour la salariée qui, après avoir perdu son autorisation de travail, ne peut pas bénéficier des règles protectrices liées à sa grossesse. Pourtant ce droit est lié à son contrat de travail, qui perdurait encore lorsque la salariée a annoncé sa grossesse. En outre, elle a été embauchée légalement, avec un titre de séjour l’autorisant à travailler. Aussi est-il regrettable que la Cour de cassation fasse primer l’absence d’autorisation de travail sur la protection à laquelle la salariée a droit du fait de l’exécution de son contrat de travail. Ce faisant, la Cour de cassation estime que ce droit, pourtant attaché au contrat de travail, n’existe plus du seul fait de la perte de l’autorisation de travail.

Par ailleurs, comme le souligne la Cour de cassation dans sa note explicative,  l’Union européenne n’interdit pas le licenciement pour un motif étranger à la grossesse, mais encore faut-il que cela soit vérifié ! Or en l’espèce, pour la Haute Cour, il n’y a pas lieu de rechercher les motifs réels, la perte de l’autorisation de travail suffisant à justifier le licenciement. En outre, la possibilité de licencier devrait se limiter à la période de protection relative, seule période où le licenciement peut être envisagé sous certaines conditions. Or à la lecture de l’attendu de principe,  la Cour de cassation ne fait pas de distinction entre le cas de la salariée qui est enceinte ou revient de congé maternité (protection relative) et celle qui est sur  le point d’accoucher ou juste après (protection absolue).

Pour finir, la primauté de l’interdiction de conserver une salariée sans autorisation de travail sur la protection de la salariée enceinte est source d’insécurité pour toutes celles qui ont besoin d’une autorisation administrative de travail. Ces dernières pourraient au moins voir leur contrat maintenu  jusqu’à la fin de la période de protection.

 

Bien que définitivement jugée en droit interne, cette affaire peut encore connaître des rebondissements devant les juridictions supra nationales.

 



(1) Art. L.8256-2 et -7 C.trav.

(2) La salariée peut bénéficier des règles protectrices si elle prévient au plus tard son employeur dans les 15 jours suivant la notification de son licenciement.

(3) Art. 10  de la directive 92/85/CEE du Conseil du 19 octobre 1992.

(4) Cass.soc.05.11.09 , n°08-40.923.