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Recrutement : quelles sont les limites aux droits de l’employeur ?

Publié le 20/06/2018 (mis à jour le 26/06/2023)

Beaucoup de candidats sont inquiets à l’idée de passer un entretien d’embauche, notamment en raison de certaines questions que pourrait poser l’employeur. Quelles sont les limites à ces questions ? Le salarié doit-il y répondre avec franchise ? Voici quelques explications quant aux règles applicables en la matière.

La forme du recrutement

Toutes les informations demandées dans le cadre d’une procédure de recrutement doivent avoir un lien direct avec l’emploi proposé (1). En effet, il est à ce moment – là question uniquement de la capacité du candidat à pourvoir le poste.

Il faut savoir qu’une personne ayant fait l’objet une procédure de recrutement peut avoir accès à ses résultats, même si la procédure n’a pas abouti. La CNIL demande aux entreprises de prévenir le candidat de cette possibilité, et du fait que les données seront conservées pendant 2 ans avant d’être détruites. Si le salarié le souhaite, il peut à tout moment demander la suppression de ces informations.

Par ailleurs, l’employeur doit communiquer à l’ensemble des candidats les méthodes de recrutement qu’il va utiliser. Celles-ci sont communiquées au comité social et économique (CSE) préalablement à leur utilisation. Enfin, les méthodes de recrutement doivent nécessairement avoir pour unique finalité l’appréciation de la capacité du candidat à occuper le poste. L'employeur a l'obligation de respecter scrupuleusement ces méthodes qui doivent être cohérentes avec l’objectif de recrutement (2).

Les données personnelles du candidat à un emploi ne peuvent pas être collectées par un dispositif qui n’a pas été porté à sa connaissance (3).

Les questions interdites

Au-delà du processus de recrutement en tant que tel, l’employeur ne peut pas poser toutes les questions qu’il désire. En effet, elles doivent être en lien direct avec l’emploi recherché. De plus, un recrutement ne peut en aucun cas être mené de façon discriminatoire.

En conséquence, aucune question ne peut avoir pour but ou pour conséquence de discriminer un candidat (4). Il est donc par exemple interdit d’interroger un candidat sur :

  • Son âge ;
  • Son orientation sexuelle ;
  • Sa volonté d’avoir des enfants ;
  • Son lieu d’habitation ;
  • Son origine ;
  • Sa situation familiale…

La liste est loin d’être exhaustive ! Cependant, il existe des questions qui peuvent se justifier en fonction du poste à pourvoir. Par exemple, une question concernant le permis de conduire peut être nécessaire pour un poste de commercial et de facto devenir légitime.

Ainsi, une question portant sur l’âge peut ne pas constituer de discrimination lorsque celle – ci est objectivement et raisonnablement justifiée par un but légitime. Pour des questions de santé, de sécurité ou encore pour favoriser l’insertion professionnelle, il peut être fait mention de l’âge des candidats au poste.

Si une question discriminatoire est posée lors d’un entretien d’embauche, le candidat n’est pas obligé de répondre. A défaut, s’il ment, l’employeur ne pourra pas lui en tenir rigueur lors de l’exécution du contrat (5).

Si l’employeur pose une question au candidat pour savoir si ce dernier est dans une situation de handicap, le candidat n’est pas tenu de répondre, même si c’est effectivement le cas. Le salarié concerné n’a aucunement l’obligation de faire état de son handicap, il doit s’agir d’une démarche volontaire.

L’activité syndicale tombe sous l’égide du principe général de l’interdiction des discriminations de l’article L.1132-1 du Code du travail. Ce dernier interdit à l’employeur de prendre en considération l’appartenance d’un salarié à un syndicat pour arrêter ses décisions et ce dès l’embauche (art. L.2141-5 C.trav, auquel l’employeur ne peut jamais  déroger)

Le mensonge du candidat

En dehors de ces situations spécifiques, et étant donné que le contrat de travail doit être exécuté de bonne foi, tout mensonge pourra être reproché.

Cependant, il est à noter que la jurisprudence a parfois reconnu la négligence de l’employeur plutôt que le mensonge du salarié, notamment dans le cas de présentation de faux diplômes (6).

Il reste conseillé de l’éviter !  Dans d’autres affaires, la Cour de cassation a été plus sévère en déclarant la nullité du contrat de travail pour dol (7) dès lors que le mensonge a joué un rôle déterminant dans l’embauche du salarié. De plus, le salarié utilisant un faux diplôme s’expose à des sanctions pénales pour faux et usage de faux.

Le testing

Il existe des méthodes légales pour découvrir si un recrutement a été mené de façon discriminatoire.

Il s’agit notamment de la méthode du testing : cela consiste par exemple dans l'envoi au moment d’un recrutement de deux CV équivalents avec une variable selon la discrimination que l’on veut démontrer. Cette méthode peut également être utilisée dans d’autres domaines (accès au logement, au crédit, comportement de tiers...).

Cette pratique est autorisée en droit du travail, dans le but d’améliorer la lutte contre les discriminations. Elle est inscrite dans le Code pénal (8), et fait suite à plusieurs arrêts de la Cour de cassation au début des années de 2000 qui lui ont donné une valeur probatoire (9).

Cette méthode est souvent utilisée par des associations de lutte contre les discriminations. Elle a dernièrement été utilisée par l'Etat qui a mené un grand testing national dont l'objectif était de voir si les candidats à une embauche, et portant un nom à consonnance étrangère, étaient victimes de discrimination (10).

L'émergence de la comparaison statistique des profils

L’utilisation de la comparaison statistique des profils des candidats est possible. Lorsqu’un candidat s’estime injustement écarté du processus de recrutement, il peut tenter de mettre en perspective les profils des candidats embauchés en CDI et ceux écartés du recrutement. Le but ici est de laisser supposer l’existence d’une discrimination à l’embauche. La Cour de cassation s'est penchée sur la question pour la première fois dans un arrêt du 14 décembre 2022 (11), facilitant ainsi l’obtention de la preuve.

En pratique, il peut s’agir d’une analyse statistique de l’origine des noms des salariés en CDI de l’entreprise. Le but du salarié sera alors de prouver l’existence d’une discrimination systémique à l’embauche. C’est ici une reprise de la jurisprudence Enderby (12) de la Cour de justice des Communautés européennes (aujourd’hui Cour de Justice de l’Union européenne), où dans un arrêt de 1993, la juridiction admettait déjà la preuve statistique.

La discrimination à l’embauche

L’employeur doit en principe trier les candidats à l’embauche de manière objective, c’est – à – dire qu’il doit se baser exclusivement sur les qualités professionnelles des futurs salariés.  Lorsque l’on s’estime victime d’une discrimination à l’embauche, deux recours devant la justice sont possibles : l’un est pénal et l’autre est civil.

Le recours civil

En matière de discrimination, l’article L.1134-5 du Code du travail porte à 5 ans le délai laissé à la victime pour agir. Le point de départ du délai est fixé au jour où les faits discriminatoires lui ont été révélés.

La charge de la preuve est ici allégée, de sorte que le demandeur n’a qu’à avancer des éléments laissant supposer l’existence d’une discrimination. L’employeur devra démontrer par des éléments objectifs que ses actions sont motivées par des raisons étrangères à toute discrimination.

Le recours pénal 

L'article 225-2 du Code pénal sanctionne le fait pour l’employeur de refuser d’embaucher pour des motifs discriminatoires. Il s'agit d'un délit punit de trois ans d’emprisonnement et de 45 000€ d’amende.

Pour agir au pénal, la victime de la discrimination dispose d’un délai de 6 ans. Le point de départ de ce délai est le jour où la discrimination a été commise.