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Repos dominical : des dérogations reconnues conformes au droit international

Publié le 21/11/2018

Par un arrêt du 14 novembre 2018, la Cour de cassation a jugé que la dérogation autorisant les entreprises du secteur d’ameublement à ouvrir le dimanche répondait bien à un besoin du public, en ce sens que "l’aménagement de la maison relève d’une activité pratiquée plus particulièrement en dehors de la semaine de travail". Cette exception au principe du repos dominical n’est donc pas contraire au droit international. Cass.soc.14.11.18, n°17-18259.

  • Le contexte

En France, il est interdit de faire travailler un même salarié plus de 6 jours par semaine : tout salarié doit bénéficier d’un repos hebdomadaire d’au moins 24 heures consécutives(1) et, en principe, ce repos doit être accordé le dimanche (2).

Il existe toutefois de nombreuses dérogations au repos dominical, et certains établissements, dont le fonctionnement ou l’ouverture sont rendus nécessaires par les contraintes de la production, de l’activité ou par les besoins du public, peuvent de droit déroger à la règle en attribuant le repos hebdomadaire, non pas le dimanche, mais par roulement (3).

C’est le Code du travail qui fixe la liste des secteurs concernés par cette dérogation (4). Il s’agit notamment des activités de consommation immédiate et de restauration, des entreprises de spectacle, des débits de tabac...  Or voilà qu’en 2008, la loi dite « Chatel » est venue allonger cette liste en y intégrant les établissements de commerce de détail d’ameublement (5).

En 2016 déjà, une réclamation avait été déposée auprès d’un comité d’experts de l’OIT afin de faire constater que cette nouvelle dérogation était contraire à la Convention OIT (organisation internationale du travail) n°106. Seulement, dans son rapport (6) la commission d’experts n’a pas considéré que c’était le cas. En revanche, elle a invité la France à vérifier que les critères de l’article 7§1 étaient bien respectés.

C'est donc dans ce contexte que la chambre sociale a été amenée à vérifier la conformité de cette dérogation au repos dominical à la convention internationale.

  • Les faits

Engagé par une célèbre enseigne d’ameublement en janvier 2005, un salarié saisit la juridiction prud’homale : il réclame des dommages-intérêts en vue de réparer le préjudice subi du fait de l’atteinte au repos dominical pour la période postérieure à l’entrée en vigueur de la loi dite « Loi Chatel ». Selon lui, la dérogation au repos dominical conférée par cette loi ne serait pas conforme à la Convention OIT n° 106 (articles 6 et 7) et ce, à deux titres.

-          Déjà parce qu’en application de l’article 7§4 de la convention n°106(7), la dérogation introduite par cette loi aurait dû être précédée d’une consultation des organisations syndicales de salariés, ce qui n’a pas été le cas.

-       Ensuite, parce que l’ouverture des établissements d’ameublement le dimanche ne répond ni aux critères posés par la même convention (art.7§1) relatifs à la nature du travail et des services fournis par l’établissement, à l’importance de la population à desservir et au nombre des personnes employées, ni à l’existence de considérations économiques et sociales pertinentes.

Débouté par les juges du fond, le salarié se pourvoit en cassation : "la dérogation permanente de droit accordée aux établissements d’ameublement leur permettant de faire travailler leurs salariés le dimanche est-elle conforme au droit international ?"

Oui, répond la Cour de cassation qui, à l’inverse de ce que réclamait le salarié, va ainsi sécuriser le recours au travail du dimanche dans le secteur de l’ameublement.

 

Sur le défaut de consultation préalable des partenaires sociaux
Pour la Cour de cassation, dès lors que la dérogation permanente résulte de la loi elle-même, l’obligation de consultation n’est qu’à la charge de l’Etat.
Autrement dit, cette disposition ne permet pas à un justiciable d’invoquer directement les dispositions de la convention OIT devant le juge judiciaire pour remettre en cause le processus législatif qui a conduit à l’adoption de la loi. Elle rejette donc l’argument avancé par le salarié sur ce point.

  • Sur les critères permettant de justifier la dérogation au principe du repos dominical

L’article 7§1 de la convention OIT n°106 autorise la création de régimes spéciaux de repos hebdomadaire à ces deux conditions  :

-          que la nature du travail, la nature des services fournis par l’établissement, l’importance de la population à desservir ou le nombre des personnes employées ne permettent pas l’application du repos dominical ;

-          que cela soit justifié par des considérations sociales et économiques pertinentes.

Or pour le salarié, ces critères n'étaient pas remplis et la cour d’appel n’en a pas vérifié l’existence, ni précisé quelles considérations sociales et économiques pertinentes justifiaient le travail du dimanche dans le secteur de l’ameublement.

  • Une dérogation pertinente : l’ameublement de la maison est une activité plus particulièrement pratiquée le week-end

La Cour de cassation va, ici encore, confirmer la décision prise par les juges du fond. Selon elle, la dérogation au repos dominical dans les enseignes de l'ameublement est non seulement justifiée par la nature du travail, la nature des services fournis, l’importance de la population à desservir et le nombre des personnes employées, mais qui plus est, elle se fonde bien sur des considérations économiques et sociales répondant à un besoin du public. La Haute Cour considère en effet que « l’aménagement de la maison auquel participe l’ameublement relève d’une activité pratiquée plus particulièrement en dehors de la semaine de travail ».
Les dispositions de la loi Chatel ne sont donc pas incompatibles avec les dispositions de la Convention n°106. 

  • Une décision importante à plusieurs titres

Si cette décision va dans le sens de la position du Conseil d’Etat, qui avait déjà, en 2015, reconnu la compatibilité de la dérogation au repos dominical dans le secteur du bricolage, le bricolage étant selon lui « une activité de loisir pratiquée plus particulièrement le dimanche » (8), elle n’en reste pas moins importante.

D’une part, parce qu’elle prend « acte de l’évolution des autorités de l'Organisation internationale du travail » en matière de travail du dimanche, tout en précisant les contours de l’effet direct des conventions internationales (9). D’un côté, elle reconnaît l’effet direct de la Convention OIT, mais de l'autre, elle neutralise cet effet en fonction de la source juridique de la norme qui déroge au principe du repos dominical. Dès lors que cette norme est de nature législative, un simple particulier ne peut pas directement remettre en cause le processus qui a conduit à l’adoption de la loi en question.

Attention, car elle considère que si la dérogation avait résulté d’un accord collectif, tant un syndicat qu’un salarié auraient pu invoquer les dispositions de la convention directement à l’encontre d’un employeur !

D’autre part, parce qu’en sécurisant le recours au travail dominical dans le secteur de l’ameublement, la chambre sociale, s’appuyant sur le rapport du Comité de l’OIT, prend surtout acte de l’évolution des habitudes de consommation spécifiques aux populations urbaines.

Alors certes, cette prise en compte se conçoit, mais dans un monde où la possibilité de consommer (presque) partout et tout le temps ne cesse de se développer, n’est-il pas finalement dangereux de vouloir à tout prix adapter notre droit à nos habitudes de consommation ?

Faut-il rappeler que dans le cadre des dérogations permanentes de droit au principe du repos du dimanche, la loi ne prévoit aucune compensation quelle qu’elle soit (salaire ou repos) et que seul un accord collectif peut améliorer ce point….

D’autant que dans sa note explicative, la Cour de cassation précise bien que si les dérogations au repos hebdomadaire sont strictement contrôlées, s’agissant des dérogations au principe du repos dominical même, la marge d’appréciation des Etats signataires est bien plus large.

A ce rythme-là, le dimanche sera bientôt un jour comme un autre…

 

 



(1) Art. L. 3132-1 et L. 3132-2 C.trav. 24 heures consécutives auxquelles s’ajoutent les heures consécutives de repos quotidien de 11 heures (soit 35 heures au total).
(2) Art. L.3132-3 C.trav.
(3) Art. L.3132-12 C.trav.
(4) Art. R.3132-5 C.trav.
(5) Loi n°2008-3 du  3.01.08 (art 11.).
(6) Rapport des 10 et 24 mars 2016 suite au recours de la Fédération des employés et cadres FO.
(7) Art 7§4 Convention OIT n° 106 : « Toute mesure portant sur l’application des dispositions des paragraphes 1, 2 et 3 du présent article devra être prise en consultation avec les organisations représentatives des employeurs et des travailleurs intéressées, s’il en existe ».
(8) CE, 24.02.15, n°374726, Fédération des employés et cadres CGT-FO.
(9) Note explicative de la Cour de cassation relative à l’arrêt n°1646 du 14.11.18.