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Discipline : une mutation temporaire n’est pas forcément une sanction

Publié le 29/10/2014

La Cour de cassation vient de juger que le changement d’affectation provisoire d’un salarié, décidé dans l’attente de l’engagement d’une procédure disciplinaire, ne constitue pas une sanction disciplinaire dès lors qu’il a pour seul objet d’assurer la sécurité des personnes et qu’il n’emporte pas modification durable du contrat de travail. Cass. Soc. 08.10.14, n° 13.13673.

  • L’affaire

En l’espèce, le salarié, conducteur de bus, a volontairement débridé son véhicule pour pouvoir dépasser la vitesse de 50 km/h. Après avoir constaté ces faits, et afin de l’empêcher de réitérer ce comportement, la société l’a affecté sur un autre poste de conducteur « volant », sans horaires fixes et sans ligne particulière, dans l’attente de l’entretien préalable auquel elle l’a convoqué. A l’issue de l’entretien, l’employeur lui a notifié sa sanction disciplinaire : une rétrogradation et le retrait de ses fonctions de conducteur.
Le salarié a refusé cette sanction et s'est vu licencié pour faute grave.

Il a contesté son licenciement avançant  que l’employeur l’avait déjà sanctionné par l’affectation temporaire au poste de conducteur « volant » et qu’il ne pouvait donc pas le sanctionner  une seconde fois  pour la même faute, en le rétrogradant.

En application du principe "non bis in idem" issu du droit pénal, un employeur ne peut pas sanctionner deux fois le même fait. Cette règle du non-cumul des sanctions fait l'objet d'une jurisprudence constante. 

En l’espèce, la cour  d’appel est allée dans le sens du salarié. Elle considère que la mesure d’affectation temporaire avait bien le caractère d’une sanction disciplinaire dans la mesure où l’employeur n’avait précisé ni le caractère provisoire de cette modification, ni le motif de sécurité des passagers et des usagers de la route.

  • La mutation peut constituer une sanction disciplinaire

En cas de faute professionnelle grave, l’employeur peut décider de ne pas licencier le salarié, mais de modifier son contrat de travail, au travers notamment d’une mutation ou d’une rétrogradation.
A cette fin, l’employeur doit respecter une procédure spécifique (entretien préalable, notification de la sanction,…) encadrée dans un délai limité, afin de permettre au salarié de s’expliquer.

Un changement d’affectation constitue-il cependant toujours une sanction disciplinaire ? C’est la question à laquelle a dû répondre la Cour de cassation dans cette affaire.

  • La mutation n’est pas forcément une sanction disciplinaire

La Cour de cassation n’a pas été de l’avis des juges du fond et a, sur ce point, cassé l’arrêt de la cour d’appel.La  Haute cour vient ici préciser les conditions dans lesquelles un changement d’affectation peut ne pas être considéré comme une sanction disciplinaire.
Elle considère en effet que «  le changement d’affectation provisoire d’un salarié, décidé dans l’attente de l’engagement d’une procédure disciplinaire, ne constitue pas une sanction disciplinaire », lorsque deux conditions sont réunies :
-          « dès lors qu’il a pour seul objet d’assurer la sécurité des usagers, du personnel d’exploitation et des tiers »,
-          « et qu’il n’emporte pas modification durable du contrat de travail ».

 Pour la Haute Cour, ces deux conditions étaient remplies, tant dans l’objet de la mesure que dans sa durée. En effet, la mesure prise par l’employeur était non seulement provisoire, mais elle était en outre destinée à assurer la sécurité des usagers et du salarié et non à sanctionner disciplinairement le salarié.

L’obligation de sécurité de résultat à laquelle est tenu l’employeur, de surcroît dans le secteur du transport de passagers, justifie la prise de telles mesures (sans respect de la procédure disciplinaire) dès lors qu’elles n’entraînent pas une modification durable du contrat de travail.

Dans ces circonstances, une sanction pouvait tout-à-fait être prise après cette décision d’affectation provisoire qui n’était finalement qu’une mesure conservatoire dans l’attente d’une sanction définitive.

Cette décision n’est pas nouvelle, puisque dans un arrêt rendu en assemblée plénière, la Cour de cassation était revenue sur sa décision, en énonçant que ne constitue pas une sanction disciplinaire le changement d’affectation d’un salarié consécutif au retrait de son habilitation à la conduite de certains véhicules, dès lors qu’il a pour seul objet d’assurer la sécurité des usagers, du personnel d’exploitation et des tiers (1).

Cependant, en l’espèce, outre l’exigence d’une justification à la mesure (assurer la sécurité), les juges mettent l’accent sur le caractère provisoire de celle-ci. Ils ajoutent ainsi une condition pour qu’une mutation ne soit pas considérée comme une mesure disciplinaire : elle ne doit pas modifier durablement le contrat de travail, autrement dit elle doit être temporaire.  
Cette condition supplémentaire est-elle liée aux circonstances de l’espèce ou bien doit-on en déduire que dorénavant seules les mesures justifiées dans leur objet et limitées dans le temps pourront s’exonérer d’une procédure disciplinaire ?


(1) Cass. Ass. Plén., 06.01.12, n°10-14688