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Médecine du travail : La CFDT alerte suite au transfert du contentieux aux Prud’hommes

Publié le 15/03/2017

Depuis que le contentieux des décisions rendues par la médecine du travail a été transféré des inspecteurs du travail aux conseils de prud’hommes par la loi Travail, nombre d’alertes nous remontent du terrain. Consciente de l’urgence de la situation, la CFDT a alerté les pouvoir publics et « profité » de la réunion du groupe de travail « désignation des conseillers prud’hommes » (du 13 mars dernier) pour interpeller l’administration. Et à cette occasion (surprise du chef) un projet de décret nous a été remis en séance. À sa lecture, cependant, c’est clairement la déception qui l’a emporté !

Nous avions alerté l’ensemble du réseau Prud’hommes ainsi que les pouvoirs publics des dysfonctionnements induits par le transfert, aux conseils de prud’hommes, du contentieux des décisions rendues par les médecins du travail (circulaire en PJ).Alertes entendues puisqu’un projet de décret devrait apporter quelques réponses aux questions que nous avions fait remonter à l’administration. Le contenu de ces dernières se révèle être, tout à la fois, incomplètes et insatisfaisantes.

Jusqu’au 31 décembre 2016, en cas de désaccord ou de difficulté sur les propositions du médecin du travail, l'employeur ou le salarié pouvait exercer un recours devant l'inspecteur du travail, lequel devait prendre sa décision après avis du médecin inspecteur. Depuis le 1er janvier 2017, c’est le conseil de prud’hommes qui est compétent pour statuer sur ces litiges. La loi travail a en effet introduit l’article L.4624-7 dans le code du travail selon lequel le salarié ou l'employeur qui « conteste les éléments de nature médicale justifiant les avis, propositions, conclusions écrites ou indications émis par le médecin du travail en application des articles L. 4624-2, L. 4624-3 et L. 4624-4 », peut saisir le conseil de prud'hommes d'une demande de désignation d'un médecin-expert inscrit sur la liste des experts près la cour d'appel. Dans ce cas, l’affaire est directement portée devant la formation de référé.

 

  • 1er point : La formation saisie d’une demande d’expertise statuerait en la forme des référés

Cette précision est d’importance puisque la loi, elle, se contente d’indiquer ici que « l’affaire est directement portée devant la formation de référé ».

Ce qui interrogeait sur le devenir du rapport d’expertise une fois que celui-ci serait rendu : la formation prud’homale ayant ordonné la réalisation de l’expertise pouvait-elle, à la lumière de cette dernière, rendre, par la suite, une décision sur le fond ?

Cette disposition réglementaire, si elle devait se concrétiser, permettrait de répondre positivement à cette question.

Nous sommes cependant en droit de nous interroger sur la capacité pour un décret de donner ainsi compétence au référé en la forme alors que la loi n’avait opté que pour une compétence au référé. Ce faisant, le règlement ne rajoute-t-il pas à la loi ?

  • 2e point : La décision prud’homale se substituerait purement et simplement aux éléments de nature médicale qui ont justifié les avis, propositions, conclusions écrites ou indications contestées

Ce deuxième point ne vient finalement que confirmer le premier. La formation prud’homale ayant « commandé l’expertise » serait en droit, par la suite, de prendre une décision se substituant à la décision prise en amont par le médecin du travail. Ce qui serait, en soi, cohérent.

  • 3e point : Le médecin du travail n’est pas partie au litige

Dans la droite ligne d’une position qui avait été prise par la DGT en février dernier, le projet de décret vient préciser que le médecin du travail, s’il devait être « informé de la contestation », ne serait pour autant « pas partie au litige ».

Cette orientation ministérielle a beaucoup alimenté le débat et nous avons fait état, dans ce cadre-là, de notre incompréhension. Comment peut-on concevoir que l’auteur même de la décision contestée ne soit pas partie au procès ? Comment justifier que l’on contraigne le salarié à assigner son employeur en justice alors même, qu’il n’a, à ce stade-là, strictement rien à lui reprocher ?

Force est de constater que nous retombons ici sur l’incohérence posée par la compétence donnée, sur ces questions, à la juridiction prud’homale. Nous avions émis de sérieuses réserves à ce propos lorsque le projet de loi était passé devant le conseil supérieur de la prud’homie. Nous ne pouvons que regretter aujourd’hui que ces réserves n’aient pas été entendues.

Prenons le cas d’un salarié déclaré inapte par le médecin du travail et qui ne serait pas d’accord avec cette décision. Celui-ci se trouverait alors dans une situation fort délicate. Suite à cette décision, il risquerait, en effet, faute de reclassement possible, de perdre son emploi. Et qu’est-ce que les textes légaux et réglementaires lui suggéraient de faire à ce moment-là ? D’attaquer son employeur aux prud’hommes, alors même qu’il n’a encore aucun conflit avec lui !

Notons d’ailleurs que, ce faisant, il le placerait dans l’impossibilité même de se défendre puisque ce dernier n’a décidé de rien et que les éléments médicaux ayant conduit à l’inaptitude ne sont pas entre ses mains. Difficile de faire plus Kafkaïen !

Inutile de préciser que ce point précis, le projet réglementaire ne semble pas acceptable !

  • 4e point : Le rôle du médecin-expert et la question du coût

La loi précise que « la formation de référé ou, le cas échéant, le conseil de prud'hommes saisi au fond peut en outre charger le médecin inspecteur du travail d'une consultation relative à la contestation ». Nombre de nos conseillers prud’hommes se sont interrogés sur la capacité qui aurait pu être la leur de recourir à ce médecin inspecteur du travail pour procéder à l’expertise, ce qui aurait eu pour avantage de faire tomber les difficultés inhérentes au coût de l’expertise.

Là encore, le projet de décret nous livre une réponse fort décevante puisqu’il précise que « la formation de référé ou le bureau de jugement ne peut charger le médecin inspecteur du travail d’une consultation qu’après avoir désigné le médecin-expert ».

Le projet de décret précise que « la provision des sommes dues au médecin-expert (…) est consignée à la Caisse des dépôts et consignations » et que « la libération de ces sommes est faite sur présentation de l’autorisation du président de la formation de référé ».

Ce qui ne résout évidemment pas la question de la rémunération de l’expert (qui devrait être fixée par le président de la formation de référé) et de la partie qui devra la supporter.

La loi autorise les juges prud’homaux à faire supporter le coût de l’expertise à l’une ou l’autre des parties. Mais l’on comprend bien qu’aucune de ces deux solutions n’est en l’espèce satisfaisante. Accepter de faire supporter ce coût à la partie salarié serait inéquitable et susceptible, on s’en doute bien, de décourager l’action. Décider de faire supporter le coût à la partie employeur ne serait pas nécessairement plus équitable et serait susceptible de générer blocages et départages en chaînes.

Nous attendons désormais d’être officiellement consultés sur ce projet de décret en conseil supérieur de la prud’homie. Ce devrait normalement être le 28 mars prochain.