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Lanceurs d’alerte : de nouvelles garanties dans la loi !

Publié le 16/02/2022

La loi de transposition de la directive européenne du 23 octobre 2019 relative aux lanceurs d’alerte vient d’être votée au Sénat. Bien que l’objectif de lisibilité du droit pour les lanceurs d’alerte ne soit pas tout à fait au rendez-vous, le texte apporte un certain nombre d’améliorations à la loi Sapin II, qui avait inspiré la directive, et demeure la pierre angulaire de la protection des lanceurs d’alerte.

La procédure de signalement interne, qui se révélait un frein aux alertes, n’est plus un passage obligé et les organisations syndicales pourront davantage jouer leur rôle, grâce à la protection des « facilitateurs ».

Tout en rappelant les grandes lignes de la protection prévue par la loi Sapin II, nous soulignerons les évolutions qui viennent d'être adoptées.

La loi Sapin II du 9 décembre 2016 (1) a posé les règles générales de protection des lanceurs d’alerte. Ces règles sont rassemblées dans son chapitre II intitulé « De la protection des lanceurs d’alerte ».

Pour bénéficier de la protection prévue par cette loi (2), il faut d’abord entrer dans la définition du lanceur d’alerte qui y est donnée.

Définition qui repose sur deux axes :

- les faits pouvant être signalés ;

- les caractéristiques de l’auteur du signalement.

De plus, même si le canal interne n’est plus un passage obligatoire, il faut respecter une démarche graduée allant du signalement (interne ou externe) à la divulgation (publique).

 

L'auteur du signalement ou de la divulgation

Le signalement doit provenir d’une « personne physique ». L’auteur du signalement peut donc être : un (ancien) salarié, un stagiaire, un candidat à l’emploi, un collaborateur extérieur ou occasionnel, un actionnaire ou un associé, un membre de l’organe d’administration ou de surveillance, un co-contractant ou un sous-traitant ou un membre de l’organe d’administration ou de surveillance de ces sous-traitants ou co-contractants (article 8 de la loi Sapin modifié).

Hormis ces ajouts à la liste des personnes physiques pouvant émettre une alerte, parmi les nouveautés introduites par la nouvelle loi quant à l’auteur du signalement ou de la divulgation, quelques avancées méritent d’être relevées (article 6-I de la loi Sapin modifié).

Désormais, ce n’est plus que lorsque les informations n’ont pas été obtenues dans le cadre des activités professionnelles, que le lanceur d’alerte doit en avoir eu « personnellement connaissance ». Lorsque l’information est obtenue dans le cadre des activités professionnelles, cette exigence n’a plus lieu d’être. Les représentants des salariés pourraient ainsi lancer une alerte sur des faits qui leur auraient été rapportés par un collègue, ce qu’ils ne pouvaient faire auparavant (sauf en usant des droits d’alerte spécifiques aux IRP).

Par ailleurs, l’exigence de désintéressement du lanceur d’alerte, qui était prévue par la loi Sapin II pour éviter la chasse aux primes à l’américaine, mais dont la formulation conduisait à priver de protection les lanceurs d’alerte tirant un profit indirect de celle-ci (par exemple ceux qui, sans tirer de profit financier, bénéficiaient de l’alerte sur un harcèlement ou des discriminations dont ils étaient victimes). Il n’est donc plus exigé que le lanceur d’alerte agisse « de manière désintéressée et de bonne foi », mais simplement « sans contrepartie financière directe et de bonne foi » - ce qui est plus cohérent avec l’objectif poursuivi…

Les faits pouvant faire l'objet d'un signalement

Les faits, informations ou documents, quel qu’en soit le support, pouvant faire l’objet d’une alerte sont les suivants (article 6-I modifié) :

  • un crime ou un délit ;
  • la violation ou tentative de dissimulation de la violation d’un engagement international régulièrement ratifié ou approuvé par la France, d’un acte unilatéral d’une organisation internationale pris sur le fondement d’un tel engagement, de la loi ou du règlement ;
  • une menace ou un préjudice pour l’intérêt général.

Le champ des signalements possibles est vaste... Sont ainsi protégés des lanceurs d’alerte aussi divers que les auteurs de signalement en matière de santé publique ou d’environnement, ceux dénonçant des délits ou des crimes, en passant par ceux signalant la violation d’un engagement international...

De simples risques peuvent faire l’objet d’une alerte, à condition de menacer l’intérêt général, peu importe dans ce cas que les risques constituent, ou non, des actes illégaux.

En pratique toutefois, l’exigence d’un caractère « grave » et « manifeste » des violations, menaces ou dangers, posée par la loi dans sa version de 2016, pouvait freiner les ardeurs de potentiels lanceurs d’alerte.

Les changements introduits par la loi de transposition de la directive à ce sujet sont de deux ordres.

-D’une part la disparition de l’exigence de gravité de la menace ou de la violation, du crime ou délit… ainsi que la suppression de l’exigence de caractère « manifeste », exigences qui conduisaient à rendre extrêmement périlleux le signalement…

-D’autre part, l’ajout de la possibilité de signaler ou de divulguer la tentative de dissimulation d’une violation.

Les principales exceptions sont les cas couverts par le secret : secret de la Défense nationale, secret des avocats, secret médical, secret des délibérations judiciaires, de l’enquête ou de l’instruction judiciaire, ainsi que certains cas spécifiquement visés par la Directive en son annexe II (services financiers, prévention du blanchiment, financement du terrorisme…).

Dans ces cas, le cadre de la loi ne s’applique pas.

La mise en oeuvre des signalements

C’est le point qui a fait l’objet des évolutions les plus notables. La loi Sapin II prévoyait une obligation de passer par le canal interne, puis externe (en cas de défaillance du premier) pour bénéficier de la protection. Cette procédure en trois paliers avait tendance à rebuter. D’autant que la procédure interne peut prévoir que le supérieur hiérarchique soit le référent !

Désormais, le canal interne n’est plus un passage obligé. Il reste néanmoins possible et sa mise en place reste obligatoire dans les entreprises, administrations et établissements publics visés par la loi. Toutefois, les personnes qui sont lanceurs d’alertes peuvent décider d’y recourir, ou non, selon « qu’elles estiment qu’il est possible de remédier efficacement à la violation par cette voie » et « qu’elles ne s’exposent pas à un risque de représailles » (article 8, I-A de la loi Sapin modifiée).

Reste que le lanceur d’alerte doit - avant toute divulgation publique et sauf cas exceptionnels -, en passer par le canal externe, c’est-à-dire s’adresser à l’autorité compétente (dont la liste est fixée par décret).

Les personnes morales de droit public et les établissements publics (y compris les autorités publiques indépendantes) sont également concernés dès lors qu’ils atteignent le seuil de 50 salariés ou de 50 agents.

Sont concernés à ce titre :

- les administrations de l’Etat ;

- les communes de plus de 10 000 habitants et les établissements publics de coopération intercommunale dont elles sont membres, regroupant au moins une commune de plus de 10 000 habitants ;

- les régions et départements.

Toutefois, la loi prévoit désormais que la mise en place de la procédure interne de recueil et de traitement des signalements se fasse « après consultation des instances de dialogue social et dans les conditions fixées par décret en Conseil d’Etat » (article 8, I, B de la loi Sapin modifié). La procédure de signalement peut être commune à plusieurs sociétés d’un groupe (article 8, I, C).

Au-delà, l’employeur doit désigner un référent auprès de qui porter le signalement. Il peut s’agir du supérieur hiérarchique (direct ou indirect), de lui-même, ou bien de toute autre personne.

Ce référent doit disposer de la compétence, de l’autorité et des moyens suffisants à l’exercice de ses missions. Le référent peut être une personne physique, mais aussi une personne morale, voire « toute entité de droit public ou de droit privé, dotée ou non de la personnalité morale » (3).

Ainsi, rien n’empêche en théorie l’employeur de désigner un syndicat ou une institution représentative du personnel (le CSE par exemple) comme référent.

Dans tous les cas, la procédure doit garantir la confidentialité du lanceur d’alerte et des personnes visées. Enfin, si le traitement des signalements est automatisé, une autorisation de la Commission informatique et libertés est nécessaire.

Si le lanceur d’alerte estime que le canal interne n’est pas approprié pour remédier à la violation ou s’il pense s’exposer à des représailles (article 8-I-A de la loi Sapin modifié), il peut adresser directement son signalement à l’un des canaux externes suivants :

  • l’autorité compétente (dont la liste sera fixée par décret) ;
  • le Défenseur des droits (qui l’orientera) ;
  • l’autorité judiciaire ;
  • une institution ou un organisme de l’Union européenne compétent.

Ce n’est qu’une fois cette obligation de signaler, en interne ou par l’un des canaux externes prévus par la loi, « sans qu’aucune mesure appropriée ait été prise en réponse à ce signalement » (article 8, III, 1° de la loi Sapin modifié), que le lanceur d’alerte pourra divulguer publiquement les informations.

Des exceptions sont néanmoins prévues (article 8, III, 2° et 3° de la loi Sapin modifié). Sauf en cas d’atteinte à la sécurité nationale ou aux intérêts de la défense nationale, le lanceur d’alerte peut s’exonérer du canal interne et du canal externe pour passer directement à la divulgation publique en cas de :

  • « danger grave et imminent» ;
  • lorsque la saisine d’un des canaux externes lui ferait encourir « un risque de représailles ou qu’elle ne permettrait pas de remédier efficacement à l’objet de la divulgation» ;
  • « en cas de danger grave et imminent ou manifeste pour l’intérêt général, notamment lorsqu’il existe une situation d’urgence ou un risque de préjudice irréversible ».

=> Pour aller plus loin sur la protection des lanceurs d’alerte dans les TPE, voir le Guide publié par le Défenseur des droits : https://www.defenseurdesdroits.fr/fr/guides/guide-orientation-et-protection-des-lanceurs-dalerte

La protection des lanceurs d'alerte

La protection prévue par la loi n’est accordée qu’aux lanceurs d’alerte respectant l’obligation d’adresser leur signalement soit par le biais du canal interne, soit par le biais du canal externe (signalement auprès de l’autorité compétente) avant de procéder à toute divulgation publique (exceptions mentionnées ci-dessus).

  • Au plan civil, la protection des lanceurs d’alerte repose sur un régime spécifique calqué sur celui de la non-discrimination. L’article L.1132-3-3 du Code du travail modifié par la loi interdit toute mesure discriminatoire (du recrutement au licenciement, en passant par l’accès à un stage ou une formation), directe ou indirecte, à l’encontre d’une personne ayant « témoigné, de bonne foi, de faits constitutifs d’un délit ou d’un crime ». Un article L.1121-2 est inséré dans le Code du travail. Il prohibe toute mesure discriminatoire, ainsi que certaines mesures de représailles qu’il mentionne (sanctions, licenciement…) à l’encontre d’une personne « pour avoir signalé ou divulgué des informations » dans les conditions de la loi.

Les mesures prises en violation de cette interdiction, y compris le licenciement, encourent par conséquent la nullité (art L.1232-4 du Code du travail). En cas de licenciement, la réintégration peut donc être demandée et le conseil de prud’hommes peut obliger l’employeur à abonder le compter personnel de formation. 

De surcroît, l’article 12 de la loi Sapin dispose qu’ « en cas de rupture du contrat de travail consécutive au signalement d’une alerte », les salariés licenciés peuvent saisir la juridiction prud’homale en la forme des référés. En cas de litige, la charge de la preuve est aménagée.

  • Au plan pénal, la loi a pris la mesure des risques encourus par les lanceurs d’alerte, qui peuvent également être entravés dans leur action par les poursuites engagées contre eux, en particulier lorsqu’ils violent un secret protégé par la loi (ex. secret de fabrication dont la révélation est nécessaire pour comprendre les risques pour la santé ou l’environnement).

C’est pourquoi, l’article 122-9 du Code pénal a instauré une irresponsabilité pénale de la « personne qui porte atteinte à un secret protégé par la loi, dès lors que cette divulgation est nécessaire et proportionnée à la sauvegarde des intérêts en cause, qu’elle intervient dans le respect des procédures de signalement définies par la loi et que la personne répond aux critères de la définition du lanceur d’alerte ».

La nouvelle loi exonère également le lanceur d’alerte lorsqu’il « soustrait, détourné ou recèle les documents ou tout autre support dont il a eu connaissance de manière licite » pour signaler ou divulguer (article L.122-9 du Code pénal modifié par la présente loi).

Cette irresponsabilité (comme la protection) a comme limites la violation de l'un des secrets protégés par la loi (v. ci-dessus).

Par ailleurs, les entraves à l’exercice du droit d’alerte sont mieux réprimées. Ainsi, l’article 13 de la loi Sapin réprime-t-il toute forme d’entrave au signalement d’une alerte par 1 an d’emprisonnement et 15 000 euros d’amende.

De plus, en cas de procédure en diffamation ayant un caractère abusif ou dilatoire (dites « procédures baillons »), le juge pourra désormais prononcer une amende civile allant jusqu’à 60 000 euros.

L’extension de la protection au-delà des lanceurs d'alerte 

 L’article 2 du texte transposant la directive ajoute un article 6-1 à la loi Sapin II et prévoit d’accorder une protection contre les discriminations et aux personnes suivantes.

  • Les « facilitateurs ». Ce terme recouvre selon les termes de la loi « toute personne physique ou toute personne morale de droit privé à but non lucratif qui aide un lanceur d’alerte à effectuer un signalement ou une divulgation» dans le cadre de la loi Sapin II.
  • Les personnes physiques « en lien avec un lanceur d’alerte».
  • Les entités juridiques contrôlées par un lanceur d’alerte.

Ces personnes ne sont pas responsables civilement ni pénalement des dommages causés du fait du signalement. De plus, elles sont protégées contre un vaste arsenal de mesures discriminatoires, de représailles et d’intimidation possibles, au même titre que les lanceurs d’alerte.

Ces mesures encourent la nullité, et les personnes qui en sont les victimes bénéficient d’un aménagement de la charge de la preuve sur le modèle de celui existant en matière de discrimination.

 

(1) Loi n°2016-1699 du 09.12.16 relative à la transparence, à la lutte contre la corruption et à la modernisation de la vie économique.

(2) La protection d’un lanceur d’alerte sur le fondement de la liberté d’expression, qui est reconnue par la jurisprudence tant de la Cour de cassation, que de la CEDH, ne sera pas traitée ici.

(3) Décret n°2017-564 du 19.04.17.

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