Un accord catalyseur d’efficacité syndicale chez Solvay France

Publié le 13/07/2016

C’est un accord innovant de rénovation du dialogue social qui vient d’être signé chez Solvay par la CFDT et la CFE-CGC. Outre la fusion d’instances au sein des établissements, il met en place des mesures inédites pour favoriser l’adhésion syndicale.

« Si on injecte les pratiques syndicales de la CFDT dans cet accord, on casse la baraque ! » Maurice Tritsch, coordinateur CFDT du groupe Solvay, ne s’en cache pas : il voit dans l’accord majoritaire sur la rénovation du dialogue social signé le 31 mai dernier par la CFDT de Solvay et la CFE-CGC une véritable opportunité syndicale. « Depuis la fusion Rhodia-Solvay en 2011, deux droits syndicaux différents coexistaient. À la CFDT, on travaillait déjà ensemble sur un certain nombre de négociations. Comme la majorité des sujets est maintenant négociée à l’échelle du groupe, il était logique d’harmoniser. » D’entrée de jeu, la CFDT a souhaité imprimer sa propre vision du dialogue social, résumée en un slogan : « Social Impulse » (en référence à l’engagement de Solvay dans l’aventure de l’avion solaire expérimental Solar Impulse, dont l’entreprise est l’un des principaux partenaires). C’est-à-dire la revendication d’investissements et de moyens humains.

Une instance nationale à visée stratégique

     

Être force de proposition
Dès l’inscription à l’agenda social de l’entreprise de la négociation sur la rénovation du dialogue social, la CFDT a élaboré un cahier revendicatif, baptisé « Social Impulse », visant à construire un nouveau modèle de dialogue social. C’est elle qui a proposé la fusion des instances CHSCT et DP, afin de « permettre une véritable remontée des problèmes du terrain, dans tous les domaines et notamment les conditions de travail ».

Associer les adhérents à la négociation
Tout au long du processus (quinze séances de négociation), les adhérents ont été tenus informés de l’avancement des discussions. Lorsque l’accord a été ouvert à la signature, des débats ont été organisés dans toutes les sections, avec vote sur le projet de texte. Au final, la signature l’a emporté par quinze voix contre six.

Oser le changement
Moins de mandats, mais mieux de mandats : ainsi pourrait se résumer l’esprit de l’accord de rénovation du dialogue social de Solvay. Une philosophie qu’il s’agit désormais d’expliquer de fond en comble aux sections syndicales des différents établissements pour qu’elles se saisissent des opportunités ouvertes. « Plus que jamais, ce système va nécessiter de travailler en équipe », souligne Maurice Tritsch

     

« L’accord correspond en grande partie à ce que la CFDT voulait, à savoir un dialogue social plus efficace », se félicite Maurice Tritsch. C’est l’objectif du comité central d’entreprise commun à l’unité économique et sociale Solvay France, « au lieu de trois précédemment », rappelle le coordinateur. Le CCE permettra d’être véritablement associé aux orientations stratégiques. L’instance sera consultée – expertise à l’appui – tous les trois ans sur la stratégie générale du groupe et les feuilles de route des Global Business Units (segments opérationnels) qui fixent les moyens humains et financiers. À cela s’ajoute une information-consultation annuelle concernant la stratégie liée au périmètre France, déclinée dans chaque établissement, en particulier pour ce qui a trait aux impacts sur les métiers et les compétences. Côté négociations, l’accord prévoit un agenda social annuel arrêté avec les délégués syndicaux centraux permettant de fixer le calendrier prévisionnel des négociations et leur articulation avec les instances représentatives du personnel. Si la négociation sur la rémunération, le temps de travail et le partage de la valeur ajoutée a été maintenue au rythme annuel (avec possibilité de convenir d’une périodicité supérieure), celle sur l’égalité professionnelle et la qualité de vie au travail aura lieu tous les trois ans et celle sur la gestion des emplois et des parcours professionnels tous les cinq ans.

Ouverte en pleine négociation nationale interprofessionnelle sur la modernisation du dialogue social, à la fin 2014, et poursuivie durant les débats sur la loi relative au dialogue social et à l’emploi, la négociation a évidemment tenu compte des nouvelles possibilités offertes par la loi Rebsamen. Le projet dans les cartons de la direction prévoyait ainsi à l’origine une instance unique par établissement, fusionnant comité d’établissement, CHSCT et délégation du personnel. La CFDT, qui a travaillé tout au long des treize mois de négociation en intersyndicale avec la CFE-CGC et la CGT (non signataire), ne l’a pas entendu de cette oreille : « Dans les établissements industriels de la chimie, il fallait conserver une spécificité CHSCT. » Mais pour ancrer ces questions dans le quotidien des salariés et conférer à l’instance une plus grande légitimité, la CFDT a proposé que les CHSCT fusionnent avec la délégation du personnel. Sa proposition a été retenue : tous les établissements de plus de 100 salariés seront désormais dotés d’un comité d’hygiène, sécurité, environnement, conditions de travail, développement durable (CHSECT-DD). « Ainsi, nous avons une instance élue par les salariés, avec les prérogatives du CHSCT et les moyens des délégués du personnel. C’est l’oreille du terrain ! », vante Maurice Tritsch. Seule exception : les cinq établissements de moins de 100 salariés où l’instance unique inclura également le comité d’établissement.

Des parcours militants mis en valeur

Autre axe sur lequel la CFDT a fortement pesé, la valorisation des parcours militants. Avec un credo : « Faire du syndicalisme, assumer un mandat doit être un droit pour tous les salariés et être vécu et considéré comme faisant partie du boulot. » L’accord réaffirme ainsi le principe de non-discrimination syndicale et d’égalité de traitement. Dans cette optique, les managers seront formés au dialogue social. Afin de prendre en compte les compétences acquises au cours du mandat, Solvay propose d’expérimenter une validation des acquis de l’expérience syndicale. Comme le prévoit la loi Rebsamen, différents entretiens, à la prise de mandat, au cours et à l’issue de celui-ci, portent sur les modalités d’exercice du mandat, la charge de travail ou les compétences acquises, un bilan de compétences et une formation pouvant être proposés en fin de mandat.

Un droit syndical “costaud”

Si l’accord réduit au global le nombre de mandats, le droit syndical reste « costaud », rappelle Maurice Tritsch, l’idée étant que les représentants puissent « travailler mieux ». Le nombre de sièges par instance est bien supérieur au minimum légal, de même que le nombre d’heures de délégation par mandat. Les déplacements sont indemnisés, les réunions préparatoires assimilées à du temps de travail, les représentants bénéficient de formations (économique, bureautique, anglais) et de moyens (locaux syndicaux, ordinateurs, site internet, liste de diffusion). Cent vingt jours-hommes par an de formation syndicale sont attribués aux organisations au prorata de leur représentativité avec maintien de la rémunération. Moins courant, l’entreprise reconnaît aussi, à travers deux crédits d’heures distincts, la nécessité pour les sections de réunir leurs adhérents d’une part et de participer à la vie de leur organisation syndicale d’autre part.

Surtout, l’accord met en place un système innovant visant à stimuler l’adhésion des salariés aux organisations syndicales. « Solvay souhaite renforcer la représentativité des organisations syndicales en favorisant une augmentation du nombre d’adhérents et en facilitant le renouvellement de leurs membres compte tenu des perspectives démographiques de départs de militants, indique ainsi le texte de l’accord. Pour cela, Solvay fait des adhésions le critère principal de financement des organisations syndicales représentatives et prend notamment en charge une partie des cotisations payées par les adhérents. » Concrètement, l’entreprise financera la part des cotisations restant à charge après déduction du crédit d’impôt. Afin de garantir l’anonymat des adhérents, un organisme extérieur indépendant sera chargé de gérer ce nouveau droit. La CFDT y voit un bon levier pour faire aboutir l’un de ses objectifs dans cette négociation : « L’adhésion à un syndicat doit être considérée comme une situation normale, voire banale. » La subvention de fonctionnement des organisations syndicales sera quant à elle indexée sur l’évolution en pourcentage du nombre d’adhérents.

« Pour Solvay, un dialogue social de qualité est une des conditions de la performance économique de l’entreprise, justifie Jean-Christophe Sciberras, directeur des relations sociales et de l’innovation sociale du groupe et DRH France. Solvay est une entreprise qui se distingue par sa capacité à apporter des solutions innovantes à ses clients ; par cet accord, nous montrons que nous savons également innover en matière sociale. »

Cap sur les élections de mars 2018

Reste, comme pour tous les accords, à faire vivre ces dispositions. Et ce, dans un contexte de « restructuration diffuse », depuis le rachat, à la fin 2015, de l’américain Cytec, spécialiste des matériaux composites. « Ce n’est pas du PSE brut de fonderie, explique Maurice Tritsch, mais un remodelage de l’ensemble des sites en France » qui nécessite la vigilance constante des représentants du personnel. « On bataille tous les jours sur ces sujets. » Parallèlement, fin 2016, se déroulera la première négociation annuelle obligatoire à l’échelle du groupe en France ; c’est l’ensemble du système de classification et de rémunération qui sera mis sur la table. La fusion des instances représentatives du personnel, quant à elle, ne prendra effet qu’en mars 2018, lors des prochaines élections professionnelles. Des élections que la CFDT entend bien remporter, forte des nouveaux adhérents qu’elle aura conquis.

aseigne@cfdt.fr

     


Repères

• “Premier chimiste en France” depuis l’acquisition de Rhodia en 2011, Solvay fabrique des produits chimiques et plastiques pour la construction, l’automobile, l’électronique, etc. Implanté dans 53 pays, le groupe compte 145 sites et emploie près de 31 000 personnes. En France, 5 700 salariés travaillent sur 20 implantations, dont 15 sites industriels.

• La CFDT est première organisation syndicale avec 32,67 % des voix. Elle est suivie de la CGT (31,71 %) et de la CFE-CGC (27,9 %). La CFDT compte quelque 700 adhérents.