Protocole préélectoral : le défaut de loyauté annule les élections

Publié le 30/10/2019

Le protocole d’accord préélectoral (PAP), s’il est un accord collectif d’une nature particulière, reste néanmoins soumis à une obligation de loyauté pour être valablement conclu. L'employeur, seul à disposer des informations nécessaires à sa négociation, commet un manquement entraînant l’annulation du PAP s'il ne transmet pas certaines informations aux organisations syndicales qui en font la demande. C'est notamment le cas de celles permettant de répartir les sièges entre les collèges et les salariés dans les collèges (Cass.soc, 09.10.19, n° 19-10780).

 

PICTO Rupture accord-Blanc

  • Bref rappel des règles en matière de négociation du PAP

La mise en place du CSE incombe à l’employeur. Celle-ci nécessite a minima la convocation des syndicats intéressés à la négociation d’un protocole d’accord préélectoral (PAP).

Pour rappel, le Code du travail encadre fortement cette négociation d’un genre particulier, notamment sur les délais de convocation et la liste des heureux invités.

Quels sont les délais de convocation ?

En cas de renouvellement, la loi précise que l’invitation a lieu au maximum 2 mois avant l’expiration des mandats. Elle précise également qu’il faut respecter un délai minimum de 15 jours entre l’invitation à la négociation et la date de la première réunion. Enfin, le premier tour doit avoir lieu dans la quinzaine qui précède l’expiration des mandats.

Le Code du travail encadre également le contenu du protocole. Parmi les sujets à négocier, il est fondamental de répartir les salariés dans les collèges électoraux et de répartir les sièges entre les collèges [1].

En effet, le Code du travail se contente d’indiquer un nombre de sièges à pourvoir en fonction de l’effectif de l’entreprise (ou de l’établissement). Il s’agit, dans la négociation, de définir combien de sièges seront attribués aux 1er, 2è et à l’éventuel 3è collège.

A défaut d’accord sur ce point, la répartition est effectuée par la Direccte. La saisine de l’administration a pour effet de suspendre le processus électoral « jusqu'à la décision administrative et entraîne la prorogation des mandats des élus en cours jusqu'à la proclamation des résultats du scrutin ». [2]

Cette répartition se fait bien souvent en fonction de la part de chaque collège électoral dans l’effectif total, ce qui suppose de répartir les salariés dans les différents collèges prévus par le Code du travail. Pour ce faire, les syndicats doivent disposer d’informations précises détenues par l’employeur, notamment lorsqu'ils ne sont pas présents dans l'entreprise.   

L’arrêt du 9 octobre 2019 reprend une solution traditionnelle rendue à propos des anciennes IRP et permet en filigrane de connaître les informations que doit leur remettre l’employeur.

  • Faits et procédure

Le 5 juillet 2018, l’employeur a invité les organisations syndicales intéressées à la négociation du PAP. Autour de la table, sont présents les 2 syndicats représentatifs dans l’entreprise, CFDT et CFE CGC, et la CGT non représentative. Le PAP est valablement conclu à la deuxième réunion du 11 juillet 2018 par les 2 syndicats représentatifs. 

Lorsque des OS ont répondu à l’invitation de négocier le protocole préélectoral, les principales clauses du PAP sont valables à condition d’obtenir une double majorité.

En d’autres termes, outre la signature de l’employeur, l’accord doit réunir la majorité en nombre, et la signature des OS représentant plus de 50 % des SVE aux dernières élections[3].

La CGT saisit le tribunal d’instance d’une demande d’annulation du PAP faute d’avoir eu les documents permettant de s’assurer de la répartition du personnel dans les différents collèges.

En janvier 2019, le TI annule les élections de l’entreprise qui se sont déroulées les 13 et 27 septembre 2018. L’employeur forme un pourvoi.

  • L'employeur refuse de transmettre les données privées des salariés

Devant la Cour de cassation, l’employeur rappelle que le PAP conclu à la double majorité ne peut être ensuite contesté, sauf s’il contient des stipulations contraires à l’ordre public, par exemple une violation des principes généraux du droit électoral.

Pour lui, l’absence d’éléments permettant de vérifier la répartition des salariés dans les collèges n’est pas une stipulation contraire à l’ordre public permettant de remettre en cause l’accord conclu.

Ensuite et surtout, l’employeur précise que s’il est tenu de « fournir aux syndicats participant à cette négociation, et sur leur demande, les éléments nécessaires au contrôle de l’effectif de l’entreprise et de la régularité des listes électorales », il n’est pas tenu, en revanche, « de remettre aux syndicats des données nominatives et confidentielles sur les fonctions et la classification des salariés ». 

  • La solution de la Cour de cassation 

La Cour invoque une obligation prédominante de loyauté dans la conduite de la négociation du PAP, impliquant « notamment » de mettre « à disposition des organisations participant à la négociation les éléments d’information indispensables à celle-ci ».

La Haute cour fait le constat du refus de l'employeur de communiquer à l’union locale CGT les éléments sur l’identité des salariés et leur niveau de classification, au motif qu’il ne souhaitait pas "communiquer des éléments nominatifs et confidentiels à des personnes extérieures à l’entreprise" et conclu que  « le syndicat n’avait pas eu accès aux informations nécessaires à un contrôle réel de la répartition du personnel et des sièges dans les collèges ».  Ainsi, la Cour valide le raisonnement du TI : 

"l’employeur avait manqué à son obligation de loyauté et [le TI]  en a exactement déduit que le protocole préélectoral signé le 11 juillet 2018 était nul, ainsi que les élections organisées sur la base de ce protocole".

 

Quelles sont les éléments indispensables à la vérification des effectifs ?

Sur cette question, la Cour de cassation a déjà eu l’occasion de préciser que sur demande d’un syndicat participant à la négociation, l’employeur doit fournir le registre du personnel et la DADS, expurgée des éléments confidentiels comme la rémunération.

L’information doit se faire soit par la mise à disposition des documents, soit par la transmission de copie ou d’extraits (Cass. Soc. 6 janvier 2016 n°15-10975).

Le syndicat peut aussi demander la communication des coefficients hiérarchiques des salariés à l'employeur. Toutefois il n'appartient pas au tribunal d'instance d'ordonner l'affichage de ces informations, de nature personnelle (Cass. soc. 20-6-2012 n° 11-19.643).

 

  • Les incidences de la décision

Quand bien même le PAP serait valablement conclu à la double majorité, un défaut de loyauté sera sanctionné de nullité. Il s'agit de la sanction la plus importante en droit, fiction qui revient à considérer que l’acte litigieux n’a jamais été conclu.

Plus en détail, la Cour de cassation distingue deux situations.  

-  Elle permet une contestation sur ce grief, à condition d’agir avant le premier tour des élections professionnelles.

-  Elle permet une contestation après l’élection, mais uniquement par les syndicats non signataires du PAP ayant émis des réserves expresses avant de présenter des candidats.

En raison des délais de la justice, il est très rare d’obtenir une décision sur la validité du PAP avant la tenue des élections. La nullité du PAP entraînera aussi la nullité des élections qu'il encadre.

Dès lors, il est important au moment  du passage au CSE de savoir renvoyer à l’employeur cette obligation de loyauté. Et le cas échéant, ne pas hésiter à émettre des réserves au moment du dépôt de la liste de candidats !

 


[1] Art. L.2314-13 C.trav.

[2] Art. L.2314-13, a.3 et 4, C.trav.  

[3] Art. L.2314-6 C.trav.

TÉLÉCHARGEMENT DE FICHIERS