[Hommage] François Chérèque. Des Alpes-de-Haute-Provence à Paris, un engagement sans faille

Publié le 26/01/2017

Des Alpes-de-Haute-Provence à Paris, un engagement sans faille

Élu du personnel, secrétaire de syndicat, d’union départementale et enfin de fédération, François a déjà un riche parcours dans l’organisation lorsqu’il arrive à la tête de la CFDT. Des expériences qui ont forgé une conviction : c’est en étant proche des salariés que le syndicalisme peut agir efficacement.

« Notre premier combat, nous l’avons mené contre une section CFDT afin d’obtenir l’ouverture de chambres mixtes. » Nous sommes au milieu des années 70, ­Pascal Bretonnière partage sa chambre avec François Chérèque dans une école de la région parisienne, où les deux compères suivent une formation d’éducateur. Ils sont jeunes, célibataires mais d’autres camarades sont déjà en couple et ne comprennent pas bien pourquoi ils doivent faire chambre à part. « Nous avons été élus par les autres élèves et obtenu de la direction un arrangement, au grand dam des représentants CFDT en place qui nous considéraient comme des vendus pour avoir eu le toupet d’engager des négociations, s’amuse Pascal. Nous étions déjà des réformateurs soucieux d’agir sur la réalité. »

Cette anecdote résume parfaitement François : de l’énergie et un engagement sans faille pour faire bouger les lignes, agir concrètement afin d’améliorer le quotidien des étudiants, puis, très vite, des salariés, des populations précaires et des jeunes, sans se soucier des postures et des idéologues de tous bords. « Je voulais changer le monde et ses injustices. J’avais en moi une agressivité forte et un besoin de rupture », écrivait-il en 2005 dans son livre Réformiste et impatient ! Pourtant, lorsqu’il voulut adhérer à la CFDT, ce fils de dirigeant de la CFDT* a dû s’y reprendre à trois fois car des militants trotskistes le considéraient comme un collaborateur de classe. « Je fus définitivement vacciné contre toute idéologie dite révolutionnaire. »

C’est dans les Alpes-de-Haute-Provence, à l’hôpital de Digne-les-Bains où il s’occupe d’enfants autistes, qu’il fera finalement ses premières armes syndicales. Très vite, son énergie au travail ne passe pas inaperçue de ses collègues et de la CFDT, qui lui confie les rênes du syndicat puis de l’union départementale. « Il était assez méthodique. Avec lui, on savait où on allait, il n’y avait pas de flou, ce qui changeait par rapport à la CFDT de l’époque, encore très marquée par l’autogestion et une forme d’indiscipline, se rappelle François Labourdette, qui militera à ses côtés pendant ces années de relations très tendues avec la CFDT régionale, alors ouvertement anticonfédérale. Il avait compris que dans un petit département rural comme le nôtre, le dialogue social était la seule solution pour obtenir des avancées. Les menaces de grèves illimitées ou de blocages n’étaient pas crédibles. Notre force ne pouvait être que dans notre nombre d’adhérents. »

À Paris, au siège de la Fédération CFDT Santé-sociaux, le secrétaire général de l’époque, Jean-René Masson, est sur la même ligne. Il se débat pour exclure les militants de la Ligue communiste révolutionnaire qui noyautent l’organisation afin de revenir aux fondamentaux du syndicalisme CFDT. François présentera d’ailleurs souvent Jean-René comme son mentor, la personne qui l’a construit syndicalement et fait de lui un militant aguerri. « François a contribué au redressement de la fédération, explique Jean-René. À l’époque, il fallait convaincre syndicat par syndicat que la ligne réformiste était la bonne, qu’il fallait renouveler nos pratiques en allant à la rencontre des salariés pour les écouter et construire avec eux de nouvelles revendications. » Les militants de la santé se souviennent encore des opérations emblématiques comme « Hop l’hôpital », en 1988, qui dénonçait déjà la dégradation des conditions de travail des personnels, en s’appuyant sur des enquêtes de terrain menées partout en France. « Nous avions distribué plus d’un million de questionnaires », se souvient Jean-René.

« Il avait soif de faire, mais pas soif de pouvoir »

« Un leader naturel »

C’est donc tout naturellement que ­François finit par rejoindre Paris pour prendre en charge le développement avant de devenir secrétaire général. En une dizaine d’années, la Fédération Santé-sociaux passe de quelque 50 000 à plus de 100 000 adhérents et devient la première fédération de la CFDT en nombre d’adhérents. « C’était un leader naturel, à la fois charismatique mais pas du tout prétentieux, souligne Marie-Claude Lasnier, qui a beaucoup œuvré à ses côtés. Il avait soif de faire, mais pas soif de pouvoir. » « Dans les négociations avec le ministère ou lorsqu’il y avait des problèmes en interne, je jouais la méchante et lui arrondissait les angles », ajoute Yolande Briand, qui fut son adjointe avant de lui succéder à la tête de la fédération.

Dans ces années, la reconstruction des syndicats était encore fragile, et la mise en place des 35 heures à l’hôpital n’était pas un long fleuve tranquille. « François avait la capacité d’expliquer simplement, de manière extrêmement pédagogique, les enjeux d’une négociation et finissait, la plupart du temps, par remporter l’adhésion de la salle, se rappelle Pascal Bretonnière. Cette culture du dialogue et la grande proximité qu’il avait su créer avec les militants de la santé expliquent l’émotion provoquée par son décès. Il ne faisait pas semblant. Il était proche des gens et de leurs préoccupations. »

jcitron@cfdt.fr

* Son père, Jacques Chérèque, a été le secrétaire général adjoint d’Edmond Maire.

©William Beaucardet / GNO / Picturetank