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Salariés des TPE : qui sont-ils ?

Publié le 19/12/2016

Pas forcément malheureux, le salarié des TPE a la particularité d’évoluer au cœur d’une toute petite structure professionnelle. En proximité étroite avec son employeur et ses collègues, au moment des conflits, il se retrouve souvent seul. Reportage à Auxerre.

      KemalB PascalG AUXERRE-TPE Entzmann      
      Kemal Batirbek et Pascal Gilbert ont rencontré
5000 salariés des TPE en un an et demi.
     

« S’ils sont heureux, les salariés des TPE ? Ni plus ni moins que les autres ! » Ceux qui travaillent dans les très petites entreprises (TPE), qui comptent moins de onze salariés, Pascal Gilbert, chargé de mission TPE à l’Union régionale interprofessionnelle de Bourgogne, les connaît bien. Lui et Kemal Batirbek, secrétaire général de l’Union départementale de l’Yonne, avec l’aide de nombreux syndicats CFDT, ont croisé la route de près de 5 000 salariés des TPE en un an et demi. « Certains connaissent des situations d’isolement, c’est vrai. Ils manquent d’informations sur leurs droits et le droit du travail, poursuit Pascal. Cela étant, nous rencontrons plus souvent des salariés souriants que tristes. On a été bien accueillis la plupart du temps, même par les patrons. Seuls 5 % d’employeurs se sont montrés plutôt hostiles à notre démarche. »

Ce ressenti d’un syndicaliste de terrain est confirmé par l’enquête TNS* réalisée pour le compte de la CFDT sur l’état d’esprit des salariés des TPE. Ces derniers disent bénéficier « d’une grande autonomie dans l’accomplissement de leurs tâches » et vivent le fait d’avoir davantage de responsabilités comme « valorisant pour soi et épanouissant au quotidien ». Franck Indri, ouvrier boucher charcutier à Monéteau, près d’Auxerre, et candidat CFDT aux élections TPE, confirme : « Je suis depuis six mois dans cette boîte et j’y suis bien. Nous sommes très responsables, et le patron fait confiance au personnel. »

      AUXERRE-TPE Alban Molieres Entzmann      
      Albane Molières, 27 ans, candidate TPE. Elle souhaite faire
respecter les droits des salariés par la voie du dialogue.
     

Ce bien-être lié à la petite taille de l’entreprise, ce besoin de reconnaissance, de « ne pas être un numéro », l’idée que le « travail dans une TPE est plus agréable que dans un grand groupe », Albane ­Molières, 27 ans, chargée de recrutement dans une agence d’insertion de dix salariés dans l’Yonne, y croyait dur comme fer. C’est même ce qui l’avait motivée à choisir cette petite structure. Aujourd’hui, Albane, candidate CFDT aux élections TPE, déchante. Un conflit l’a opposée à sa patronne. Un mois de convalescence occasionné par une côte fêlée a été jugé trop long par sa patronne, qui a tout fait pour ne pas maintenir son salaire pendant le mois en question. « Je me suis renseignée sur mes droits dans la convention collective, explique-t-elle. Je voulais qu’ils soient respectés par la voie du dialogue. Je me suis adressée à la CFDT, j’ai presque tout récupéré sauf les trois jours de carence. »

« Ça marche tant qu’on n’a rien à demander »

Albane fait face à une gestion familiale et affective de l’entreprise. Sur les dix salariés, quatre font partie de la famille ou du cercle d’amis de la patronne. « Ça forme un bloc. On se retrouve vite seule. On n’a ni délégué du personnel ni délégué syndical. C’est très compliqué à vivre. Pour preuve, il y a un fort turnover. » Après cinq ans dans l’entreprise, Albane, qui détient une licence d’administration économique et sociale, gagne 1 300 euros nets pour 39 heures. Elle a essayé de revenir à 35 heures : « Pas possible ! », lui a-t-on rétorqué. Pas de CE, pas de titres-restaurant ni de salle à manger… Pour autant, Albane trouve encore des excuses à son employeuse : « Elle n’est pas méchante mais elle a une méconnaissance des règles juridiques et de management de l’entreprise, confie-t-elle. Ça marche tant qu’on n’a rien à demander. »

« Ce sentiment de solitude, d’isolement prégnant et ce manque d’interlocuteurs », l’enquête TNS les corrobore : « les collègues apparaissent rarement comme un recours possible : les solliciter risquerait même d’envenimer la situation. » Preuve en est lorsque Kemal Batirbek se rend sur le terrain : « Le salarié se tient en arrière du patron, sur sa réserve, mais, souvent, il saisit discrètement la brochure, la met dans sa poche et repart travailler. Ce n’est que plus tard, et en dehors des heures de travail, qu’il prend contact avec nous. »

Peu d’évolution de carrière en perspective

      AUXERRE Franck Indri Entzmann      
      Franck Indri, boucher charcutier,
souhaite avant tout que les employeurs
respectent leurs obligations.
     

Une démarche qui a payé pour Franck Indri, lui qui, s’il a trouvé une bonne place aujourd’hui, a connu des jours moins heureux. « Le nouveau patron a coulé en deux ans et demi une boîte qui tournait bien depuis 1967, explique-t-il. L’affaire suit son cours mais il me doit encore six mois de salaire. » Franck a atterri à la CFDT « par hasard », reconnaît-il. Là, il a trouvé des militants pour l’accompagner et l’informer que le temps serait long avant d’obtenir réparation. En revanche, Franck ne s’en laisse pas conter sur son salaire. « Je gagne aujourd’hui 1 500 euros nets, avec la mutuelle, précise-t-il. Ce qui est correct. » Mais il a vite pris conscience des effets néfastes de l’inflation. « J’allais voir mon ancien patron et je lui disais : “Ça fait deux ans qu’on n’a pas eu d’augmentation. Avec l’inflation qui grignote nos salaires, le Smic nous rattrape. Il faut y penser”. » À son nouveau patron, il a rappelé ses obligations concernant la visite médicale et la mise en place des affiches de sécurité. Franck sera précieux comme représentant des salariés !

Autre inquiétude pour les salariés des TPE, l’évolution de carrière. Ils ont été nombreux à l’évoquer dans l’enquête TNS. En raison d’une échelle hiérarchique très courte et de possibilités de mobilité limitées, les salariés craignent de « stagner et de ne pas acquérir de nouvelles compétences ». De plus, toujours selon l’enquête, le recours à la formation reste largement théorique. « Quand le recrutement des salariés se fait sur la base de liens affectifs et non sur celui des compétences, l’entreprise prend d’autant plus de risques », regrette Albane, qui entend bien relever le défi avec la CFDT. 

* Enquête qualitative réalisée entre le 11 juillet et le 5 août 2016.

dblain@cfdt.fr

photos © Photo Cyril Entzman