Éric Fottorino : Le pas-pressé abonné

iconeExtrait du magazine n°467

Journaliste, écrivain, Éric Fottorino défend le kiosque et la presse papier. Une position à contre-courant mais qui ne l’empêche pas de rencontrer le succès depuis plus de six ans avec son hebdomadaire inclassable : Le 1. Rencontre.

Par Jérôme Citron— Publié le 31/10/2020 à 09h52

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Après vingt-cinq ans au Monde dont quatre à sa tête, vous avez créé l’hebdomadaire Le 1; pourquoi ce pas de côté ?

Je n’ai pas vraiment pensé à un pas de côté. J’ai plutôt pensé à continuer mon métier de journaliste. En 2013, avec Laurent Greilsamer et Natalie Thiriez, nous nous sommes posé la question ; si on inventait un journal, à quoi il ressemblerait, qu’est-ce qu’il voudrait dire, en quoi il tiendrait compte des autres médias et en particulier de la toute-puissance du numérique en termes de rapidité et d’exhaustivité ?

Par tâtonnement, on a imaginé un objet de presse qui se plie, se déplie. Qui a trois formats, c’est-à-dire trois moments de lecture. Ce n’est pas un gadget, c’est vraiment un cheminement de la pensée : du sensible au plus savant. Et puis on a créé un objet sans publicité, parce qu’on a considéré qu’il fallait restaurer le plus possible la relation de confiance avec les lecteurs. Cela passait par le fait de n’appartenir à personne. Ni à un actionnaire puissant ni à des annonceurs qui, de fait, s’approprient les espaces et finissent toujours par influer sur les contenus. Tout cela a fini par donner Le 1.
Un journal avec un seul sujet chaque semaine, que l’on explore en faisant appel à des journalistes et des artistes.

Quel bilan tirez-vous de cette aventure éditoriale ?

Cela fait maintenant six ans. On a publié plus de 300 numéros. Ce qui est intéressant, c’est de voir que l’on peut créer ex nihilo une publication et trouver chaque semaine entre 30 000 et 35 000 lecteurs payants. Cela veut dire qu’une démarche d’exigence, de sens, qui s’adresse à l’intelligence des lecteurs, ça peut payer. Cela ne veut pas dire que l’on gagne beaucoup d’argent mais on est indépendant, à l’équilibre. On fait en sorte de durer, de traverser le temps.

Qu’est-ce qui vous motive ? Pourquoi avoir décidé de créer d’autres revues ?

Je n’ai jamais voulu faire de journaux militants. Quand j’étais directeur du Monde, je me suis battu à la fois avec la rédaction et avec Sarkozy, ce qui était très inconfortable. Avec la rédaction, pour dire qu’on ne faisait pas de l’antisarkozysme, et avec le Président pour lui faire comprendre que le mandat de la rédaction n’était pas d’être contre lui mais de raconter en toute indépendance son mandat.

J’ai toujours eu à cœur d’éclairer le chemin des lecteurs. C’est un chemin encombré, avec des fausses pistes, avec beaucoup de facilité à se fourvoyer. Nous avons Le 1 chaque semaine, mais j’ai trouvé à deux ou trois reprises que l’on pouvait trouver d’autres temporalités pour que ce chemin soit mieux balisé. Nous avons donc lancé trois trimestriels : Zadig, America et Légende, notre petit dernier.

Votre travail donne le sentiment que vous vous situez à mi-chemin entre le journalisme et l’édition ?

Beaucoup des textes que nous publions sont intemporels. Les lecteurs nous commandent d’ailleurs des numéros d’il y a deux ou trois ans. J’aime cette idée du temps long. À une époque où l’on a érigé la vitesse en vertu cardinale, nous, au contraire, avons fait le choix de ralentir. On considère que c’est par ce ralentissement que l’on peut de nouveau voir les nuances, la complexité.

Quel regard portez-vous sur la crise de la presse traditionnelle ?

Je pense que notre presse a…

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